La révolution numérique est là, et avec elle, un changement de régime économique et social profond. L’économiste français Cédric Durand a théorisé cette nouvelle ère en la nommant « techno-féodalisme ». Un concept qui a trouvé un écho certain, de Yanis Varoufakis à Steve Bannon, et qui mérite d’être exploré pour comprendre les enjeux contemporains.
Du cyberpunk au techno-féodalisme : une dystopie devenue réalité ?
Le concept de techno-féodalisme trouve ses racines dans le cyberpunk des années 1980, un mouvement qui anticipait la dégénérescence du capitalisme tardif sous l’impulsion du développement technologique. Cette vision dystopique s’oppose à l’idéologie californienne, qui associait initialement enthousiasme technologique, épanouissement individuel et libre entreprise.
La promesse de la Silicon Valley, le mythe d’une cure de jouvence du capitalisme grâce aux technologies de l’information, ne s’est pas concrétisée. L’économie de marché de petits producteurs, équitable et libérée des gouvernements, n’a pas vu le jour. Au contraire, c’est le spectre du techno-féodalisme qui se dessine.
Le techno-féodalisme : une nouvelle forme de pouvoir
Pour Cédric Durand, le techno-féodalisme, d’abord une hypothèse, est en passe de devenir une réalité. Des figures de la tech comme Musk, Zuckerberg ou Bezos incarnent ce nouveau pouvoir économique et social, où les grandes entreprises technologiques exercent un contrôle comparable à celui des seigneurs féodaux.
Le techno-féodalisme se distingue du capitalisme traditionnel. La richesse ne provient plus de la production et des échanges, mais de la capture des données, des infrastructures numériques et de l’attention des individus. Les GAFAM (Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft) et autres géants du numérique agissent comme des seigneurs modernes, offrant des services en échange d’une dépendance croissante des utilisateurs, des entreprises et même des États.
Le techno-féodalisme se traduit par plusieurs phénomènes concrets. Les algorithmes de recommandation captent notre attention et influencent nos décisions de consommation. Les places de marché numériques imposent des commissions élevées sur chaque transaction, consolidant ainsi leur domination sur les vendeurs. Quant aux travailleurs des plateformes, ils sont soumis à un système opaque entièrement contrôlé par les entreprises, limitant leur autonomie et leur pouvoir de négociation.
Un avenir incertain : vers un post-capitalisme régressif ?
Le techno-féodalisme est un concept qui remet en question l’évolution du capitalisme et met en évidence une transformation profonde du mode de production, dépassant largement les simples fluctuations économiques. Popularisé par l’économiste grec Yanis Varoufakis, il décrit un système où les grandes plateformes numériques fonctionnent comme des seigneurs féodaux modernes, imposant leur contrôle sur les ressources et les interactions économiques, tout en captant la valeur créée par leurs utilisateurs.
Selon Varoufakis, le capitalisme aurait été détruit par le capital lui-même. Il soutient que l’ordre économique mondial n’est plus structuré par les dynamiques traditionnelles du marché, mais par la domination des géants du numérique, qui centralisent la richesse et le pouvoir à travers leurs écosystèmes fermés, limitant la concurrence et remodelant en profondeur les rapports économiques et sociaux.
Contrairement au capitalisme traditionnel, basé sur la production et l’échange de biens, le techno-féodalisme repose sur la captation de la valeur générée par les utilisateurs, sans leur offrir de réelle contrepartie. Les algorithmes de recommandation, les places de marché numériques et les plateformes de travail (comme Uber ou Amazon) imposent leurs propres règles, limitant la concurrence et renforçant les inégalités économiques.
Dans ce modèle, un avenir possible pourrait être celui d’un post-capitalisme régressif, où les grandes entreprises technologiques remplaceraient les anciens acteurs économiques et gouvernementaux dans la gestion des infrastructures essentielles. Cela conduirait à une monopolisation des richesses et à une dépendance accrue des individus et des entreprises vis-à-vis de ces plateformes, réduisant leur autonomie et leur capacité d’innovation.
Ainsi, le techno-féodalisme pose des défis majeurs pour l’économie et la société, nécessitant une réflexion approfondie sur la régulation du numérique, la redistribution des richesses et l’émergence de modèles alternatifs capables de garantir un équilibre entre innovation et équité.
Le techno-féodalisme est donc bien plus qu’un simple concept, c’est une grille de lecture essentielle pour comprendre les enjeux économiques et sociaux de notre époque.