17 février 2025

Gestion de la rupture : Malade de nos TIC

ticJamais l’actualité IT n’a été aussi riche que ces dernières semaines. Evénements spécifiques organisés par les étudiants, salons et foires professionnels, séminaires scientifiques, conférences sur la création d’entreprises… Le mois d’avril a regorgé de ces manifestations qui se sont chevauchées l’une après l’autre au point de se faire de l’ombre; toutefois c’était histoire d’attendre que quelque chose d’énorme se produise dans un secteur qui a échaudé toute la population. Evidemment, l’attention était retenue par l’avant-projet de la loi télécoms « 2.0 » présenté dernièrement à l’assemblée nationale, mais mis à part le fait d’avoir réussi à faire sortir l’ARPT de sa réserve – ou de sa torpeur – ce projet, dont on souffle déjà dans les travées de l’APN qu’il pourrait « peut-être se voir retiré », n’a pas créé la rupture tant souhaitée dans un secteur novateur et extrêmement sensible. Pour remettre les choses dans leur contexte : le 24 avril dernier la session parlementaire prévue ce jour a été consacrée au débat de l’avant-projet de loi projet de loi fixant les règles applicables aux activités de la poste, des télécommunications et à celles liées aux technologies de l’information et de la communication.
Selon l’exposé des motifs dressé dans ce document par la commission transports et télécoms de l’APN, « le processus de révision de la loi [2000-03] a été entamé en décembre 2008 par un groupe de travail installé à ce titre, composé de représentants de neuf ministères, de l’Autorité de régulation de la poste et des télécommunications [ARPT] et de l’Office national des droits d’auteur. Après plus de 25 réunions tenues au sein du secrétariat général du gouvernement, le projet de loi a été examiné en réunions du gouvernement les 9 novembre 2011 et 21 novembre 2012 et par le Conseil des ministres le 26 décembre 2012 ».
Réquisitoire
Un avant-projet dont n’ont pas vraiment fait cas les députés lorsque, que ce soit à travers des requêtes écrites ou à travers leurs questions orales car présents dans l’hémicycle, ils se sont fait l’écho de la plupart des utilisateurs que nous sommes. Tant mieux, ce sont nos représentants et ils font ce pour quoi ils ont été élus. Premier grief retenu, une « qualité de service » de l’Internet tellement invraisemblable que « ça ne peut être que du sabotage », pour reprendre les dires d’un député de l’Alliance verte qui avoue « en voir de toutes les couleurs »… et pas seulement du vert ! Ils s’interrogent si, à l’état actuel des choses des IT en Algérie, nous avons réellement besoin d’une loi sachant que le secteur en entier subit de plein fouet « une mauvaise gestion » qui se voit, se ressent et se vie quotidiennement. « Ce n’est pas un problème de loi, le problème ce sont ceux qui gèrent ce secteur [TIC, NDLR] qui est dans une mauvaise situation », assène-t-il. Inadéquation des prix avec les débits, qualité irrégulière des prestations, etc., ont été les autres remarques faites en plus de celle de se demander pourquoi ne jamais rembourser un client lorsqu’il se connecte 20 jours alors qu’il a payé un abonnement de 30 jours. Très bonne question ! D’autres interventions ont tourné sur l’incapacité d’Algérie Télécom ou encore d’Algérie Poste à se mettre à la hauteur des attentes des utilisateurs et, parfois, à faire preuve de juste un peu de considération à leur égard, faisant même sortir un député de ses gonds car ayant vécu lui-même les affres d’une bureaucratie qui refroidit tout effort de modernisation. A fur et à mesure que les débats se sont poursuivis, il faut croire que l’avant-projet de loi n’a pas totalement été au centre des discussions mais on avait cette impression que le ministre était très attendu au tournant pour s’expliquer sur un secteur qui patauge. Sans parler des histoires du téléphone fixe, d’Internet, etc., et aussi du « manque de compétences »…
Plaidoirie
Face aux représentants du peuple, le ministre Moussa Benhamadi savait qu’il devait défendre son travail à la tête de ce secteur. Pourquoi un débit chaotique ? La première réponse était d’ordre « physique ». « Une vérité physique » qui fait que plus nous nous éloignons d’un point de distribution, le débit Internet fluctue et baisse surtout si à la fibre optique, s’adosse du cuivre pour relayer le transport, reconnaissant explicitement le « bricolage » dont peut faire l’objet parfois son secteur. Qualité de service ? Il n’est pas possible d’imputer la totalité de la responsabilité à Algérie Télécom qui a « consenti des efforts considérables pour s’acquitter de ses missions ». Sauf que, Algérie Télécom n’a pas réussi sa transition depuis sa filialisation en tant qu’opérateur télécoms de premier ordre opérée sous l’égide de la première loi télécoms sous l’ère du ministre Tou. Une entreprise qui a gardé ses réflexes de l’ancienne « P & T » et qu’on a « lâchée » dans la nature sans la moindre expérience, ni expertise, ni argent. « L’Etat n’a pas aidé Algérie Télécom », fait remarquer le ministre Benhamadi, en considérant l’enveloppe financière de 140 milliards de dinars qui a été accordée à l’entreprise comme « un cadeau » ! Un cadeau à 3,5% pour une durée de remboursement de 15 ans. Pourquoi Internet est-il plus cher qu’ailleurs, chez nos voisins au Maroc ou en Tunisie à titre d’exemple ? « Parce que Skype, c’est offert », répond le ministre. Ailleurs, « il faut payer un supplément », nous dit-il en aparté. Pourquoi la connexion est si mauvaise ? Tout simplement parce qu’une ancienne technologie de transport de données est encore utilisée, qui repose sur des réseaux en cuivre. Sachant, en plus, tous les vols dont est victime Algérie Télécom… Pourquoi tant de retard ? « La mutation technologique nécessaire pour avoir plus d’abonnés à Internet a été réalisée sur les fonds propres d’Algérie Télécom », fonds qui n’étaient pas toujours disponibles. 3G ? Voir dossier Djezzy et son règlement. Et pour résumer encore plus le fond de la pensée du ministre, de « toute façon, une 3G sans contenu, cela ne sert à rien » et disant entre les lignes qu’il va falloir créer des entreprises de contenu et de services, et puis, aussi,  « l’infrastructure n’est pas prête » car le cœur de réseau d’Algérie Télécom ne peut pas distribuer de la bande passante à des millions d’utilisateurs simultanément; ce qui créera des « down » à la chaîne.
Les TIC dans un état « végétatif »
L’Algérie « dernière » dans les classements internationaux dans le domaine des TIC ? « Le rapport est subjectif » et n’a pas pris en compte un certain nombre de paramètres. Nous faisons allusion ici au dernier rapport du Forum économique mondial sur l’impact des TIC dans la vie d’un pays. Mais avons-nous besoin d’un rapport international pour savoir que ça va mal ? Avant même l’intervention du ministre à l’APN, une source du département de Moussa Benhamadi, reprise par l’APS, avait fait savoir que les rédacteurs de ce document « ont oublié la fibre optique et la prochaine loi ». « Quel est ce pays qui, comme l’Algérie, est doté d’un réseau postal informatisé reliant les endroits les plus lointains et les plus isolés du pays, à travers plus de 3 500 bureaux de postes et un système de CCP gérant plus de 10 millions de comptes accessibles à partir de n’importe quel bureau de poste sur le territoire national », s’interroge cette source. Et elle ajoute : « Le choix de l’indice NRI occulte également d’autres paramètres importants comme par exemple la pose de fibre optique. Avec plus de 60 000 km de fibre optique installée, l’Algérie n’a même pas à être comparée avec certains pays présentés dans ce classement comme étant mieux lotis que le nôtre en matière de généralisation des TIC ». La source s’indigne également du fait que les experts qui ont établi le rapport n’ont à aucun moment pris attache avec le ministère, les organes et entreprises sous sa tutelle.  Cela leur aurait « permis au moins d’avoir une information plus proche de la réalité sur les différentes actions entreprises ». Il y a lieu de préciser que le seul organe avec lequel les rédacteurs du rapport ont pris attache est le Centre de recherche en économie appliquée pour le développement [CREAD] ». Après avoir tenté vainement de joindre le directeur général du CREAD, Yacine Ferfara, afin de connaître son appréciation de la question et de donner un avis autorisé, il s’est révélé inaccessible, soit par téléphone, soit par e-mail. Au contraire de Benat Bilbao-Osorio, directeur associé et chef économiste auprès du Forum économique mondial, qui a conduit l’étude. Disponible, il défend son rapport de toute « subjectivité ». A la question de savoir s’il existe une part de vérité dans les critiques adressées contre le rapport du Forum économique mondial, il répond que « ce rapport mondial, grâce à son indice [NRI – Network Readiness Index], fournit un cadre général qui analyse non seulement le niveau de la connectivité numérique dans un pays [infrastructures TIC], mais aussi, et surtout, comment cette connectivité TIC est utilisée par les différents agents dans une économie et les conditions qui permettent aux TIC d’avoir des impacts économiques et sociaux importants. En tant que tel, fondé sur les analyses de 54 des variables [du NRI], le rapport fournit une image globale de la capacité des pays à libérer pleinement le potentiel des TIC. Il y a certainement beaucoup de variables potentielles que différents pays voudraient voir intégrés dans la structure du rapport, néanmoins, nous croyons que notre indice fournit une approche globale et équilibrée des facteurs cruciaux pour donner une image globale ». Ceci d’une part. D’autre part, et à une autre question relative au cas où, éventuellement, certains pays ou certaines économies ne répondraient pas totalement aux critères du NRI mais nécessitent, peut-être, d’autres éléments d’observation ou d’étude, Benat Bilbao-Osorio répond encore : « Dans le calcul de l’indice, nous utilisons deux sources de données, externes et indépendantes des auteurs du rapport. Ces deux sources de variables sont des données provenant des organisations internationales telles que l’Union internationale des télécommunications [UIT], l’Unesco ou la Banque mondiale. En outre, chaque année, nous organisons un Executive Opinion Survey à plus de 15 000 chefs d’entreprises dans le monde qui nous donnent leur opinion sur l’état de l’environnement dans lequel ils opèrent. Ces avis sont fournis par le secteur privé qui évaluent les dimensions qui sont essentielles à la gestion de leurs activités et qui ont une expérience de premier niveau sur les dimensions que nous analysons. En conséquence, dans le calcul de notre analyse. Pour vous répondre, nous ne recevons pas de demandes des gouvernements pour ajouter des variables spécifiques dans notre analyse. En tout cas, notre cadre évolue constamment et prend en compte les progrès et les changements qui s’opèrent dans le secteur des TIC afin de rester pertinents et comprendre les facteurs clés qui sont le moteur d’une révolution rapide des TIC et les conditions qui permettent aux sociétés de pleinement profiter de ces dernières pour favoriser l’innovation, la compétitivité et le bien-être. » Nous connaissons la position des deux.
Sauf celle du CREAD et c’est très dommage. En revanche, il est vrai que d’énormes efforts ont été consentis dans l’infrastructure à coups de milliards, mais la logique voudrait que pour contrer un rapport ; quel qu’il soit et quel que soit le domaine de recherche, il faut un contre-rapport. Et malheureusement, le ministère de la Poste et des TIC ne dispose pas de cette contre-expertise. Il faut dire qu’il n’existe pas de sociétés d’études dans ce domaine en Algérie, ce que, au moins, l’ARPT aurait dû susciter et mettre en place (lire l’entretien réalisé avec Mme Zohra Derdouri, présidente du conseil de l’ARPT – IT Mag n° 211).
Les investisseurs privés marginalisés ?
Dans le numéro 274 d’IT Mag, nous examinions les résultats d’un autre rapport, « Etat de la bande passante » dans le monde, qui donne bien des pistes intéressantes pour aller de l’avant dans le haut débit, fixe ou mobile. Nous écrivions : « Etant donné les avantages économiques du haut débit, l’accès à la large bande est devenu vital pour le développement économique ainsi que la croissance économiques […] Il ressort des facteurs clés pour la création d’un environnement favorable à l’investissement dans le haut débit que pour favoriser les déploiements à la large bande, et quelle que soit la source de financement, les opérateurs doivent investir dans l’infrastructure de manière efficace et de manière optimale de telle sorte à tirer le meilleur parti des ressources disponibles.
Différentes couches d’infrastructure doivent être traitées séparément à partir d’une perspective politique de financement, plutôt que d’utiliser une approche globale. En effet, de nouveaux modèles d’investissement sont nécessaires pour connecter de nouveaux abonnés et stimuler l’expansion de la capacité pour gérer l’explosion prévue du trafic des données sur les années à venir […] La mutualisation des efforts, des équipements et des ressources communes [fréquences] est une piste recommandée. A ce jour, le secteur privé a eu un succès considérable dans la fourniture de l’infrastructure large bande dans de nombreux pays, et il est bien placé pour conduire ou suivre technologiquement et évaluer l’évolution de la plupart des projets de déploiement d’infrastructures. Les investissements privés doivent être facilitées par les autorités publiques qui doivent veiller à ce que la dynamique du secteur privé des TIC existe avec une perspective à long terme. Donc, l’infrastructure -déploiement, expertise, mise à niveau technologique- c’est l’affaire du privé ; les prix, l’aide au financement, c’est l’affaire des Etats ». Dans l’avant-projet de loi présenté, l’effort consenti à l’égard des opérateurs privés est timide et à peine leur accorde-t-on le crédit qui doit être le leur : des partenaires.
Jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Combien sont-ils à se plaindre, anonymement, et on comprend pourquoi, des entraves qu’ils rencontrent sur le terrain.
Si ce n’est pas avec Algérie Télécom, c’est avec l’ARPT… Pourtant, ils font partie de cet écosystème nécessaire à l’essor et au développement des TIC en Algérie pour permettre l’appropriation des nouvelles technologies par les citoyens. Et pour faire court, et même très court, les TIC n’ont pas besoin de fonctionnaires, mais de gestionnaires avec des initiatives, une vision, une stratégie et une ouverture d’esprit… C’est ce qu’on appelle communément des leaders !
Et maintenant ?
Si échec il y a, ce n’est certainement pas celui du ministre ! Mais celui de tout un système qui donne trop l’impression de considérer les TIC comme un loisir – vidéo, chat, jeux, musique… – plutôt que comme un levier sérieux et inévitable qui conduirait à une économie diversifiée et nouvelle.
Le ministère de la Poste et des TIC aura beau ceinturer tout le pays de fibre optique, si le ministère de l’Intérieur ne décide pas de mettre en place une plate-forme concrète de retrait de documents administratifs, si le ministère des Finances n’autorise pas le déploiement une bonne fois pour toutes d’une infrastructure de paiement en ligne, si Algérie Télécom n’offre aucun service à valeur ajoutée comme le paiement des factures du téléphone ou d’Internet à grande échelle à ses abonnés, si Sonelgaz, si Air Algérie, si d’autres ministères, si d’autres organismes nationaux ne s’en servent pas… alors cela ne sert à rien.
Bien sûr que toutes les organisations citées et bien d’autre ont, à leur niveau, le lancement d’un portail, le déploiement d’un réseau… mais cela reste éparse et pour 2013, c’est trop peu !
Les TIC n’ont ni plus ni moins besoin que de l’implication de tous, à leur tête le Premier ministère…
Le reste, tout le reste viendra quasi-naturellement et obligatoirement. Dernier point : nos décideurs prennent-ils vraiment au sérieux nos jeunes diplômés ? La question se pose car l’avant-projet de loi relatif à la poste et aux TIC ne prévoit rien en matière de financement de jeunes entreprises, de facilitations sérieuses dans le domaine administratif, de préférences spécifiques afin que les start-up à venir ait une certaine primauté…

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