Les Algériens ont pris, ces dernières années, l’habitude de communiquer avec leurs parents, proches et amis à travers la téléphonie mobile, via les sites de socialisation ou par courrier électronique. Epris par la facilité et la disponibilité de ces moyens modernes, ils tendent à tourner le dos de plus en plus à la nécessité de se rendre visite, s’embrasser et être présents dans les moments de joie ou de douleurs.
L’« exagération » a pris des proportions alarmantes, poussant l’écrasante majorité de la population, notamment les jeunes générations, à se contenter de « rencontres virtuelles ». Ce sont en effet les liens sociaux et de parenté qui prennent de l’eau de toute part et qui tendent à se refroidir davantage, alors que la société algérienne a toujours été caractérisée par l’insistance des personnes à consolider leurs relations à travers l’échange des visites. Or, aujourd’hui les SMS, e-mails, discussions sur le Web et appels téléphoniques tendent à se généraliser de façon incontrôlée. Les relations amicales « virtuelles » nouées à travers la Toile n’ont fait qu’accentuer le problème, les jeunes relèguent les parents et les proches au second plan et investissent à « souder » leurs nouvelles connaissances.
D’ailleurs, le nombre d’amis sur les réseaux de socialisation est devenu un paramètre de succès et de réussite à convaincre les autres de son utilité. « Combien d’amis as-tu sur Facebook ou Twitter ? Combien de personnes comporte ton répertoire de téléphone mobile ? Combien d’e-mails tu reçois quotidiennement ? As-tu des amis dans plusieurs pays de la planète ? »… Ce sont autant de questions qui hantent les esprits de nos jeunes, qui n’abordent par contre rarement la qualité des liens avec la famille, les proches, les parents ou même les voisins. Chacun est ainsi plongé dans son monde virtuel et mène une vie parallèle, oubliant que la valeur d’un lien parental ou amical mérite d’être préservée et renforcée à travers des rencontres directes. Il faut dire que les personnes âgées restent incontestablement les victimes de cette mutation accélérée qui ne cesse de prendre encore des ailes.
« Loin des yeux, loin du cœur », ne cessent d’affirmer ces « vétérans » qui se retrouvent contraints de supporter le lourd préjudice causé par le recours exagéré aux nouvelles technologies.
« Je n’ai pas vu mon fils depuis plus de dix ans ! »
Les appels qu’elle reçoit quasi quotidiennement n’ont pas apaisé son âme brûlée et son cœur déchiré, ni l’ont rassuré sur son fils vivant en France depuis une dizaine d’années. « Je déteste ce téléphone, je veux revoir mon fils, le serrer contre moi, le regarder droit dans les yeux et me renseigner sur tous les détails de sa vie. Je sais que même lorsqu’il est malade, il me cache la vérité de peur que je m’inquiète. On ne dit jamais la vérité au téléphone », lance, en sanglot, cette femme de soixante-dix ans, croisée à la gare Agha (Alger).
« Il utilise souvent l’ordinateur (Internet) pour parler avec ses frères et sœur. On se permet même de le voir sur l’écran et quand je lui demande de venir il trouve toujours des excuses. Il se contente de me dire qu’il est heureux de savoir que je suis en bonne santé. Depuis plusieurs mois, je n’ai pas pu voir son visage par peur de m’éclater de larmes », poursuit la septuagénaire, éplorée. Pour elle, rien ne peut égaler une rencontre directe avec son fils qu’elle ne cesse de solliciter de venir. « Ce qui m’agace davantage, c’est qu’il me dit que le développement technologique a réduit les distances, mais c’est faux ! Le jour où il entendra de ma mort, il regrettera tout cela. Je ne lui pardonnerai jamais s’il m’arrive à quitter ce monde sans l’avoir vu… », se lamente notre interlocutrice. Et c’est à âmi Cherif, la soixantaine, d’intervenir : « Je crains que notre société, jadis connue par la solidité des liens sociaux, l’entraide et la solidarité, ne devienne comme les sociétés occidentales. Même à l’occasion des fêtes religieuses, les visites ont baissé sensiblement, alors que notre joie était de recevoir les parents et les proches et partager avec eux des moments de joie indescriptibles. Ces nouvelles technologies risquent de détruire les fondements de nos traditions », déplore-t-il. Excédé par l’attitude exagérée du recours à la téléphonie mobile ou Internet, ce retraité de l’éducation nationale a pris une décision ferme. « Lorsqu’un ami ou un parent me demande au téléphone si je vais bien, je lui réponds sèchement que s’il s’inquiétait pour moi il n’a qu’à me rendre visite. Il faut arrêter cette mascarade ! », tonne notre interlocuteur. Pourtant, les choses sont bien claires ; si on veut partager la joie ou la douleur de l’autre, il faut être à ses côtés.
La famille ne se réunit plus… !
Avec la généralisation d’accès à la téléphonie mobile et à Internet, même les membres d’une même famille ne consacrent plus le temps à se réunir autour d’une table pour discuter et échanger les points de vue. Il est en effet remarquable que chacun est plongé dans son « monde » virtuel, se connectant aux réseaux de socialisation pour de longues heures, jusqu’à des heures tardives de la nuit. D’autres sont branchés à leurs téléphones portables, écoutant de la musique, visionnant des vidéos ou effectuant des communications. Cette situation engendre un manque flagrant et préjudiciable de communication, ce qui se répercute indéniablement sur la qualité des liens affectifs entre les membres de la famille. « Lorsque les parents n’ont pas assez de temps à parler à leurs enfants, et que les frères et sœurs ne se rapprochent pas l’un de l’autre, cela crée un énorme écart affectif entre eux. Chacun d’eux préfère se confier à des personnes qu’il connaît sur le web ou par téléphone, ce qui fait qu’il y a, en fait, plusieurs entités affectives dans la même famille. Cela se traduit à long terme par une absence totale de confiance entre frères et sœurs et vis-à-vis des parents », explique Meziane Khelfaoui, psychologue. « D’ailleurs, on voit de plus en plus rarement des adolescents accompagnés par leurs parents soit au marché ou vers d’autres lieux. Il y a quelques années, l’enfant s’appuyait sur son père et sa mère, les considérant comme uniques repère et exemples à suivre.
Aujourd’hui, chacun se crée un modèle, soit des joueurs de football, des acteurs, des artistes ou d’autres personnes qui l’éblouissent, très souvent par des mensonges, lors des discussions sur la Toile. Si les choses continuent sur ce chemin, on risque d’avoir une société effritée », s’alarme-t-il, soulignant la nécessité de lancer de larges campagnes de sensibilisation à cet effet.
Il est donc temps de « redresser la barre » avant que la situation ne se complique encore plus.
L’engouement pour les nouvelles technologies ne doit en aucun cas se faire au détriment des fondements de la société algérienne. « Lorsqu’une attitude dépasse son seuil maximal, elle engendre des effets contraires », stipule bien un proverbe bien de chez nous…