L’heure est à la stratégie ! Industrielle, s’entend. Temmar sort les clairons et sonne le rappel des troupes. Médias, opinion publique, tout ce qui bouge dans ce pays, qui ne bouge pas tant que ça, est prié d’abandonner les tropiques de l’affaire Khalifa et de lui prêter l’oreille. Il a une raison en béton pour ça : le ministre des Privatisations et de la Promotion de l’investissement, sans crier gare ni présenter le bilan de ce que le président de la République lui a demandé de faire à ce sujet depuis 1999, nous sort aujourd’hui ce qui doit être sa potion magique pour pousser le wagon poussif de l’économie algérienne et le tirer du marais stagnant par lequel il n’arrête pas de transiter depuis trente ans. Pour y parvenir, Temmar n’a pas, semble-t-il, beaucoup turbiné. En bon ministre, il a délégué le gros du boulot à une poignée d’experts, tous sérieux heureusement, qui ont planché sur un scénario dont on attend dès aujourd’hui qu’il serve au pays pour «exploiter les niches» par où il peut être compétitif et jouer un rôle plus intéressant que celui dont il a maintenant l’exclusivité : un puits crachant bêtement du pétrole. Les oracles parlent de 400 pages et plus. Les plus zélés d’entre eux applaudissent des quatre pattes et crient au miracle enfin arrivé : l’Algérie, chantent-ils à l’unisson, tient enfin sa «feuille de route» et sait désormais «quel chemin prendre» pour ne pas découvrir en gare que le «puits» peut s’épuiser avant même que le train ne démarre.
Alléluia ! Il était temps pour Temmar et pour les gouvernements dont il a fait partie depuis huit ans (huit ans !) de vendre autre chose que de belles phrases sur les «atouts et les potentialités» d’un pays qui ne s’est jamais senti aussi gêné et aussi mal à l’aise depuis les années rouges du terrorisme et de l’insécurité généralisée en «mini guerre civile». Il était temps que Temmar nous montre enfin qu’il est plus smart comme il le prétend sous toutes les latitudes médiatiques. Mais attention. Il n’est pas question d’applaudir avec les zélés ni de le plébisciter, lui et sa stratégie, les yeux fermés.
Le mieux, bien sûr, est d’attendre le verdict des experts neutres qui n’ont pas été associés à l’élaboration de la stratégie –certains expriment déjà dessus des réticences audibles et raisonnables. Le sage, évidemment, est d’écouter les patrons, les plus concernés dans cette affaire, et de saisir ce qu’ils pensent des propositions stratégiques de M. Temmar. Parmi eux, une catégorie nous importe tout particulièrement : ceux qui ont pris sur eux d’investir dans les nouvelles technologies de la communication – les TIC.
Ceux-là, les chefs d’entreprise, qui ont pris la peine de mettre de l’argent dans un créneau difficile, coûteux, contraint par le retard dans lequel se trouve le pays dans le domaine de l’informatique par exemple, mais déterminant pour l’avenir, méritent au moins qu’on s’intéresse à eux. Qu’on ne leur fasse pas la blague de les ignorer alors que leurs homologues dans les pays développés comme dans les pays émergents sont au cœur de tout débat sur l’économie. Ils sont nombreux chez nous les patrons de start-up qui savent quels sont, en 2007, les vrais enjeux économiques dans le monde et quel intérêt avons-nous à construire rapidement un marché des services informatiques et un marché des services de TIC pour être «connectés», le mot n’est pas trop fort ni trop métaphorique pour une fois, à la galaxie de la mondialisation et à la toile de la modernité.
Au Canada, un exemple lointain mais à suivre absolument, l’industrie des TIC a produit en 2005 des revenus de 30,7 milliards de dollars, en hausse de 5% par rapport à 2004. On imagine alors les dividendes en matière d’emploi, de profits et de fenêtres grandes ouvertes pour la recherche et l’innovation dans ce domaine, segments clés pour tout leadership économique et création de richesses pour les 100 prochaines années. Ailleurs, aux Etats-Unis, en Europe et en Asie, on enregistre les mêmes profits et on est d’accord sur le fait que s’il y a aujourd’hui une voie royale pour toute démarche économique, le meilleur moyen de l’emprunter est le savoir.
Certains de nos patrons de start-up, qui ont compris la musique et ont fait le pari de se lancer dans l’intégration de PC ou de généraliser l’usage d’Internet, doivent se sentir sécurisés et compris par les centres décideurs dont Temmar est supposé être le représentant. Certes, ils gagnent beaucoup d’argent mais on sait aussi quel bénéfice le pays tire aujourd’hui de leur investissement : Internet à bon prix ou gratuit prochainement, des micro-ordinateurs à hauteur des poches ouvrières, des services de télécommunications plus que corrects et surtout le rêve d’une Algérie capable d’être autre chose qu’une banlieue de la civilisation et autre chose qu’un marché de consommation pour des produits conçus ailleurs et périssables chez nous. Pour cela, ils méritent bien une messe.