IT Mag : Voulez-vous nous dire qui vous êtes et nous retracer quelque peu votre parcours ?
Me Ali Dahmane : J’ai eu l’opportunité d’avoir connu une année durant laquelle il y avait des bourses offertes dans tous les pays du monde, Etats-Unis, Italie, France? par les entreprises algériennes sur des métiers tout à fait nouveaux. J’ai obtenu mon bac en 1969 et j’avais opté pour la Sonatrach, qui offrait une bourse en Italie dans le domaine des mines. De retour en Algérie, au gré du hasard, je vois en pleine rue, à l’entrée d’un immeuble, une affiche qui invite à passer un test psychotechnique pour la formation en informatique. Je me suis dit que ce ne serait qu’un test de plus vue toutes les formations à laquelle je m’étais inscrit. Mais ce n’était pas facile; ce sont trois heures de test et il fallait compter avec quelque 600 candidats répartis en 3 sessions de 200. Au terme du test, un peu plus de 200 ont été retenus pour passer la formation en question, parmi lesquels moi-même, au CERI. A l’époque, les établissements spécialisés d’ingéniorat étaient rattachés à des ministères. Par exemple ; l’informatique était rattaché au Plan. Ce n’est qu’après que tous ces établissements ont été mis sous la tutelle du ministère de l’Enseignement supérieur et il me semble même qu’il existe une volonté de revenir actuellement à l’ancien système. Donc, finalement, j’ai fait mes études en informatique. Durant le cursus, chaque année, nous avions la partie théorique de la formation, et en été, nous effectuions des stages pratiques en entreprise. Comme il n’y avait pas d’informaticiens ou alors très peu dans les organismes d’Etat, on nous envoyait pour y travailler. Je me souviens, pour ma part, que j’avais fait des programmes pour la météo algérienne. En troisième année, comme il coûtait très cher de ramener des coopérants, les responsables de l’école nous obligeaient à faire des TP pour les premières années. Cela nous a permis de communiquer mais bien plus, nous a donné une formation brillante. Même si, à cette époque ; nous ne savions pas ce que nous valions. Très peu d’organismes étaient informatisés. Mais c’est quand on partait à l’étranger qu’on s’en rendait compte.
Comment avez-vous su la vôtre ?
Quand j’ai terminé mes études, mon premier projet était dans les chèques postaux. J’étais spécialisé sur les travaux à distance ou si vous préférez le télétraitement. A l’époque déjà, en 1973, il fallait gérer quelque 6 millions de comptes. Il fallait travailler sur un système de saisie de données qui avait été développé par une société française pour le compte de la poste française elle-même et afin de maîtriser cette solution et en assurer la relève, je devais effectuer une formation en France chez le concepteur de la plate-forme. Je m’étais inscrit sur la base d’un listing de formations. Je devais aussi travailler sur ces plates-formes avant d’être renvoyées en Algérie. Lorsque je devais aller rejoindre ma salle de cours, je me souviens que j’ai dû m’assurer que je ne me trompais pas de classe vu que tous mes camarades étaient d’un certain âge mûr alors que j’étais le seul à être le plus jeune. Donc ; ma première session avait trait au cours systèmes ; ce que j’avais déjà fait durant mon cursus. Au bout du troisième jour, nous étions rentrés dans le sujet le plus délicat à expliquer aux étudiants : les décalages entre bits. Je me souviens que l’enseignante avait eu un peu de mal à expliquer cette logique de programmation et la salle commençait à s’impatienter? Je me suis alors proposé de tenter une petite explication. Au bout de 20 minutes, le cours est passé comme une lettre à la poste; fort déjà de mon expérience des TP que je faisais aux premières années en informatique. Puis, suite à un rapport de mon professeur, le directeur d’études m’avait offert d’assurer les travaux pratiques. Ce que j’ai accepté en échange d’augmenter mon temps d’accès à la plate-forme. Il s’est avéré que mes camarades étaient des patrons d’informatique dans des entreprises ou des institutions françaises? C’est ainsi que j’ai bien pu connaître les systèmes et de retour de cette formation; j’ai fait la conception du système qui marche actuellement ; que j’ai doté d’un système de points de reprise qui permet de savoir, à sa reprise, après une interruption de service, si l’opération a été effectivement effectuée ou pas. Il faut savoir que la bête noire du télétraitement; ce sont les ruptures de services. Puis, c’était les projets. En plus des chèques postaux, mon autre grand projet, c’était l’informatisation du ministère des Affaires étrangères, du temps du ministre Bouteflika. J’y avais pris la gestion courante, la gestion des protocoles et l’étude pour l’informatisation de la gestion de l’immigration, particulièrement en ce qui concerne les certificats de changement de résidence, où il y avait beaucoup de trafics. S’ensuivirent des projets d’informatisations dans les douanes algériennes, l’éducation nationale, dans le domaine des décentralisations et celui des études. Après un passage au Commissariat national à l’informatique, puis ma participation à la création du Centre national d’information et de documentation économique (CNID), je me suis mis à mon propre compte. Je me suis beaucoup investi depuis dans les idées et parmi celle que j’ai eu à avancer, la mise en place d’un système national de l’information économique ; qui n’existe pas à ce jour. J’étais informaticien mais j’étais surtout entouré par des gens qui faisaient des magistères, des licenciés en économie, des gens valables, qui ont travaillé au CNID. Des gens dont il fallait utiliser les travaux. Le centre renfermait toutes les études faites par des bureaux étrangers par secteur d’activité, des travaux de haute volée qu’on a payés en devises, pourquoi en refaire à chaque fois. Alors j’avais suggéré de classer toutes ces études dans un fichier national qui serait accessible à tous les étudiants, à tous les chercheurs. Ce qui serait devenu l’ébauche d’un système plus global d’information économique. J’avais proposé que chaque secteur d’activité créé son centre d’information. Ce n’est qu’aujourd’hui qu’au niveau de chaque ministère, on commence à mettre en place ce qu’on appelle une direction centrale de l’information statistique.
Votre idée remonte aux années 1980. Pourtant, ce système n’existe pas encore. Comment l’expliqueriez-vous ?
Cela signifie que ça n’a pas bougé ! Je ne sais pas comment répondre exactement au pourquoi de cet état de fait. Je peux y répondre en affirmant que techniquement, la formation des gens était trop en avance sur les besoins ; ou alors que la formation des utilisateurs était très faible. Je ne peux pas faire un jugement de valeur sur l’utilisateur. La décision politique, à l’époque, nous en avions besoin, car chaque fois que nous avions derrière nous un ministre ou un haut responsable, nous réussissions. Comme nous étions les premiers ingénieurs, les gens nous suivaient. Aujourd’hui, la décision politique n’existe pas. Nous avons passé notre temps à attendre une politique, un plan, une stratégie, ce que nous n’avons pas. Et l’adhésion de tous repose sur ça. Encore que, pour mettre en œuvre une stratégie, s’il n’y a pas la décision politique, on ne bouge pas ! Maintenant, je développe un autre discours, n’attendons pas une décision politique de la part de gens qui ont d’autres chats à fouetter et qui, de toute façon, ne peuvent pas prendre de décisions sur ces domaines-là. Il faut foncer, un marché existe, et il y a lieu de s’y adapter. N’attendons pas que ça vienne d’en haut. Car si on faisait un constat général au niveau des administrations des ministères, le degré d’informatisation est et reste au ras des pâquerettes. Prenons seulement l’exemple du ministère de l’Enseignement supérieur, même s’il est vrai que chaque université a son application de paie et son propre système, ce secteur capital a-t-il un système d’information, a-t-il un réseau entre les universités pour que, au moins, on puisse se partager des connaissances. C’est encore fermé. Les universités ne communiquent pas entre elles autre que par le biais de Facebook ! Mais il n’existe pas de réseau inter-universités où les étudiants s’échangent les données entre eux. Je vais vous dire, si un étudiant choisit de faire un mémoire d’étude, il peut commencer par interroger d’autres universités pour savoir si son sujet d’étude n’est pas en train de se faire quelque part d’autre. Imaginez si ce système d’échange existait, l’étudiant verrait par exemple que son sujet est déjà traité dans une autre université par un autre étudiant, à ce moment il va pouvoir moduler le sien et faire en sorte qu’il soit complémentaire et même en discuter et ainsi chacun des deux prendra un aspect différent d’un même sujet de mémoire. Et les deux assemblés, c’est un plus, ça donne un résultat. Déjà, 1978 ; on avait organisé une conférence au CNI, à Cinq-Maisons, au cours de laquelle on avait dit qu’il fallait mettre en place un réseau de transmission de données pour pouvoir développer l’informatique en Algérie. A ce jour, à part celui des CCP et celui des banques, il n’y a pas encore de réseau de transmission de données ! Certes, il existe des réseaux sectoriels mais pas un réseau unique national de transmission d’information. Je pose la question de savoir si nous maîtrisons la chose. Non ; on ne maîtrise pas ! J’ai eu à développer une application de la gestion de la dette extérieure en 1987. J’ai mis une équipe dessus à la BADR qui devait servir de banque pilote pour ce système. J’ai donné une partie de ce projet à mon équipe, et une autre comme mémoire de fin d’étude. A un moment, lorsque nous avons assemblé notre programme, nous avions demandé à chaque banque un jeu d’essais sur la dette extérieure. Lors de l’analyse des documents reçus, on avait remarqué que des crédits avaient été remboursés en double ! Pas de communication entre les entités de gestion, entre les agents? car pas de réseau de transmission de données.
Qu’est-ce qui a pu changer dans les années 1980 et actuellement ?
De notre temps, dans les années 1970, les dirigeants nous faisaient confiance. Peut-être parce que nous étions les tout premiers informaticiens. Ils nous donnaient également les moyens. Je vous fais savoir que des applications écrites par des Algériens dans les années 1970 et jusqu’au début des années 1980 pour de grosses entreprises auraient pu se vendre partout dans le monde. Mais c’est resté à leur niveau car on ne savait pas les emballer ou si vous voulez les envelopper commercialement ni même les valoriser. Chaque entreprise disait que cette application est mon bien et elle le restera. Puis depuis l’explosion de la micro-informatique à la fin des années 1980; tout le monde s’enfermait derrière sa machine dans son bureau. Les gens se partageaient peut-être les logiciels ou les solutions qui existaient mais pas les noyaux ni les conceptions. Alors que 10 ans auparavant ; on le faisait car on y était obligé. Quand on faisait face à des pannes on allait voir d’autres institutions qui utilisaient la même application et on nous donnait des pistes pour la régler.
Que retenez-vous aujourd’hui dans le domaine des IT ?
Actuellement, ma véritable activité est le conseil dans le domaine de la planification stratégique et celui de l’informatique. Deux domaines d’actualité dans la mesure où nos responsables ou plutôt la gouvernance au niveau des entreprises ainsi que dans les institutions n’ont pas le souci de développer une stratégie. Lorsqu’une stratégie existe, cela facilite le second niveau qui suit, celui de la conception, donc du technique. Là, nous en sommes encore à réfléchir sur le comment de la mise en place d’un système d’informations au niveau des impôts. En ce qui concerne les entreprises, celles-ci continuent à s’équiper de façon totalement inadéquate avec leurs besoins et les compétences qui utiliseront ses systèmes. Néanmoins, dans un autre contexte, j’avais déjà dit en 2010 que là où les Algériens pouvaient faire des merveilles; c’est dans l’industrie du contenu. Celle-ci apporte du développement, des besoins et de nouveaux réflexes. Nous sommes au XXIe siècle, et ce siècle est celui de l’informatique. Je le résume ainsi et ça a été dit à maintes reprises par d’autres. Si nous ratons ce train, c’en est fini ! Il faut vraiment mettre le paquet pour y être et participer. Je dis bien informatique et non technologies de l’information et de la communication. Car l’informatique ; c’est le traitement de données. Il ne s’agit pas non plus de mettre les données à la disposition de tous, ça existe déjà ; regardez encore Facebook. Une vidéo, un texte, une image? Or, l’informatique permet de traiter l’information, des données. C’est bien de les stocker, encore faut-il savoir les traiter. Le marché est là. Rien n’empêche une start-up de s’investir dans le domaine des encyclopédies par exemple où elle se consacrera à traiter les données qui existent sur l’Algérie et à les organiser pour en faire un produit car quand elle traite toutes les informations existantes, elle rentre déjà en production. Pour sortir nos utilisateurs et nos informaticiens de cette informatique archaïque, il faut créer le besoin et ne pas attendre que ce besoin soit exprimé.
Considérez-vous que nous sommes dans ce « train » ?
L’Algérie doit faire un plan spécial pour l’infrastructure des télécoms et les transmissions de données. Tout en fibre optique. Si on ne le fait pas, on est hors jeu. Tout se développera de lui-même s’il existe une infrastructure de transmission de données puissante et fiable. Et dans tous les domaines. C’est la priorité. Quand on a accès à Internet, on a accès aux idées.
Quel regard portez-vous sur les étudiants en informatique d’aujourd’hui ; du moins par rapport à votre vécu d’étudiant ?
A notre époque, nous avions la soif de nous aguerrir sur de nouveaux métiers. Comme il n’y avait rien, nous voulions nous affirmer. Très souvent, notre cursus était sanctionné par un voyage d’études pris en charge par l’école ; le CERI (anciennement ESI, NDLR). On se retrouvait par exemple un groupe à aller chez IBM ; à visiter ses usines. Là, nous connaissions notre valeur et surtout nous nous frottions au management. Il faut savoir qu’être manager, c’est une culture. De plus, c’est à travers les stages pratiques qu’on en apprend les notions. Tant qu’on ne fait pas de stages en entreprise; on ne peut pas le devenir. Car il faut que l’étudiant aille au charbon, qu’il aille sur le terrain afin de connaître son métier et savoir comment ça se passe. C’est ça un manager, quelqu’un qui sait de quoi il parle. Aujourd’hui, lorsque j’écoute ces jeunes, ils ont pratiquement la même formation. Ils sont à la page certes mais théoriquement seulement ! En revanche, ils n’ont pas eu l’occasion de mettre en pratique ce qu’ils ont appris. Ce qui me rend malheureux, c’est quand cet étudiant se retrouve dans un marché inexistant, il ne peut pas mettre en pratique ses connaissances. C’est la raison pour laquelle on ne doit pas l’attendre mais le provoquer. Le créer. Un autre point essentiel, à notre époque, nous n’étions pas forcément des managers ; mais on écoutait. Ce n’est plus le cas aujourd’hui pour la simple raison que nous avons, en Algérie, formé des fanfarons; y compris nos managers? du moins les générations qui nous ont suivis. C’est-à-dire que dès qu’ils réalisent quelque chose ; ils fanfaronnent avec alors que ça peut ne rien représenter par rapport à ce qui se fait ailleurs ! Et le fanfaron n’est pas un bon manager ; ce n’est pas quelqu’un qui encourage ses collaborateurs. Il ne leur fait pas vivre l’entreprise. Et dans tous les domaines.
Et sur les start-up ?
Encore une fois, tant qu’on n’a pas amorcé ni provoqué un marché, ces start-up n’agiront que sur des effets de mode. A titre d’exemple, plusieurs jeunes entreprises se sont engagées dans la gestion de flotte, la géolocalisation, une l’a fait, puis une autre, sans apporter la moindre évolution, sans mettre en place des solutions de maintenance, sans chercher à s’améliorer? le client lui-même restera dans cette sorte de confinement ; il ne cherchera pas non plus à évoluer, et ces start-up vont mourir de leur belle mort. Ces start-up doivent posséder ce que j’appelle un back-up, une base solide pour pouvoir répondre à un besoin, qu’elles aient la capacité de développer un morceau de ce même besoin et rapidement. Après saturation de celui-ci, elles reviennent au back-up et lancent autre chose sur le marché. En Algérie, une jeune start-up qui se spécialise sur un seul produit, c’est dangereux. Il faut qu’elle ait un back-up; c’est élémentaire. A quoi ça sert de travailler sur un produit sans le marché qui va l’absorber. Il est impératif qu’elle soit capable de rebondir. Autre point capital; arrêtons de spéculer. Il faut amener les éditeurs algériens de logiciels ; parmi lesquelles ces start-up, à revoir leur politique des prix à la baisse pour vendre plus et gagner plus. Plus le produit se vend, plus l’entreprise reçoit de feedbacks de la part de ses clients afin de pouvoir le modifier, lui apporter un ajout, une amélioration? Il faut sortir de cette logique de spéculation qui fait croire qu’on s’enrichit vite en vendant très cher. Il faut que ces éditeurs ou ces entreprises aient une autre politique de calcul des prix de cession au public. Tout le monde en profitera et surtout personne ne copiera au vu de son accessibilité.
Considérez-vous que la situation des TIC pouvait être meilleure avant ?
Pour l’utilisation des compétences, oui ! C’était mieux. Aujourd’hui, on a plus de moyens, des logiciels de développement, mais on n’a pas les idées. Et importer les idées des autres a toujours été une faute que nous faisons. Une idée s’appuie sur un fondement, et très souvent ce fondement c’est une culture, un contexte et surtout des informations. Nous produisons des données, mais pas encore de l’information. L’information, c’est un million de traitements.
les start up ne se contente plus d’innover mais de propose un produit qui est conforme au besoin du client.Et c’est aussi le cas pour les sociétés de géolocalisation malheureusement, c’est à double tranche, soit elles innovent, elles investissent et cela paye si le client approuve l’innovation sinon elles risquent d’être trop à avance, et donc d’être en décalage sur le besoin actuel.