24 octobre 2025

Géopolitique des technologies <BR> L’indépendance numérique ne se limite pas aux données

Le débat sur la souveraineté numérique dépasse largement la simple localisation des données. Alors que le Monde peine à s’unifier, l’omniprésence des géants technologiques américains (GAFAM) expose les États du Monde à une perte de contrôle politique et économique critique.

La souveraineté numérique n’est pas un concept théorique abstrait, mais la capacité concrète d’un État à garder la maîtrise de ses propres décisions politiques. Aujourd’hui, cette capacité est menacée par la domination écrasante de quelques acteurs principalement américains, sur le secteur du cloud computing et des technologies clés.

Au-delà du stockage : la vraie bataille est technologique
Le grand public et même de nombreux décideurs se focalisent sur la souveraineté des données (où les données sont stockées). C’est pourtant une vision très limitée du problème. La vraie bataille pour l’indépendance numérique se joue sur deux fronts cruciaux, bien au-delà du simple stockage des données.
D’abord, la souveraineté technologique consiste à savoir qui maîtrise réellement la technologie. Les États-Unis, par exemple, ont le pouvoir de retirer sans préavis un composant matériel essentiel (comme un GPU) ou un logiciel clé. La Chine en a fait les frais suite aux restrictions d’exportation américaines (concernant notamment Nvidia ou Android).

Ensuite, la souveraineté opérationnelle est la capacité de garder le contrôle des services. Si une puissance étrangère peut décider de désactiver l’infrastructure numérique d’un pays, celui-ci perd instantanément la maîtrise de ses opérations et de ses décisions.

Le Cloud Act vide de sens la notion d’hébergement
L’argument selon lequel « héberger chez soi » protège les données est en grande partie fallacieux. Le Cloud Act américain (Clarifying Lawful Overseas Use of Data Act) s’applique à toutes les entreprises américaines, où qu’elles stockent leurs données dans le monde.

Ainsi, par exemple même si un géant comme Microsoft défend publiquement le RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données) européen un jour, il peut être contraint par la loi américaine le lendemain de livrer des données à Washington. Dans les faits, la loi américaine prime toujours sur les garanties locales, réduisant la protection européenne, dans ce cas, à une simple illusion face à l’extraterritorialité du droit américain. Alors que dire de l’Afrique!

L’État a perdu le contrôle sans le savoir
Aujourd’hui, l’ensemble de l’économie, des services publics à la défense, s’appuie sur le cloud. L’État a transféré sa puissance opérationnelle vers des plateformes externes sans réellement mesurer l’enjeu.

Si un État n’a pas la maîtrise du cloud qui fait tourner ses systèmes critiques, il perd sa souveraineté. L’alignement politique devient une conséquence de l’alignement technologique car si l’infrastructure obéit à Washington, les marges de manœuvre politiques nationales s’en trouvent inévitablement réduites. Nous sommes en passe de devenir des vassaux numériques.

Le problème structurel et la géopolitique des données
Si les États-Unis bénéficient d’un marché unifié (une seule langue, une seule monnaie, une seule législation), le monde reste fragmentée : 192 pays, 192 lois et plusieurs langues. Cette fragmentation empêche l’émergence de champions technologiques capables d’atteindre la taille critique nécessaire pour rivaliser avec les géants américains.

Pendant que le monde tergiverse, la géopolitique des données a déjà commencé. Les données sont devenues un levier dans les négociations internationales. Celui qui contrôle le cloud de l’autre détient un pouvoir énorme, que ce soit pour des échanges commerciaux ou, demain, pour influencer des décisions stratégiques. Ce n’est pas une menace future, c’est une réalité en cours.

Les pays du monde doivent mutualiser leurs efforts et développer des alternatives technologiques solides s’ils veulent conserver la capacité réelle de contrôler leur propre destin numérique.

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