Par Kamel Bouyoucef
Moussa Benhamadi, PDG d’Algérie Télécom, vient d’être nommé ministre de la Poste et des Technologies de l’information et de la Communication, en remplacement de Hamid Bessalah, appelé selon un communiqué rendu public «à d’autres fonctions», sans toutefois préciser lesquelles. Cette information a été, par ailleurs, confirmée par la très officielle agence APS.
Cette nomination n’est pas en fait une surprise, puisque le nom de Moussa Benhamadi a longtemps circulé les dernières semaines qui ont précédé le remaniement gouvernemental. Moussa Benhamadi a par ailleurs contribué largement au redressement du groupe Algérie Télécom qui était avant son arrivée dans une situation très délicate, voire floue, et qui a nécessité l’adoption d’un plan d’urgence pour augmenter son chiffre d’affaires. En effet, le fort développement de la téléphonie mobile en Algérie, qui a atteint 30 millions d’abonnés répartis sur les trois opérateurs (Djezzy, Mobilis, Nedjma), a réduit considérablement les gains du téléphone fixe. Il fallait aussi user de persuasion pour convaincre les mauvais payeurs de passer à la caisse surtout du côté des administrations et des entreprises publiques. Un argent dont avait besoin l’opérateur historique pour investir et remettre à niveau son réseau, d’autant plus qu’il a signé un contrat de performance avec l’Etat.
Ahmed Ouyahia, Premier ministre, a adressé une circulaire incitant tous les services de l’administration publique à régler leur situation.
Moussa Belhamadi a su donner un coup de fouet à cette entreprise stratégique. Troisième PDG depuis la fin de 2007 à la tête d’AT, Moussa Benhamadi a davantage un profil «ingénieur» que «financier». Chercheur en systèmes d’information et réseaux, promoteur de l’’Internet en Algérie, il fonde en 1986 le Centre de recherche sur l’information scientifique et technique (Cerist), devenu en 1993 le premier fournisseur d’accès à Internet du pays et choisi par l’Union européenne comme «pôle de compétences dans le cadre du développement du commerce électronique avec les pays méditerranéens». Moussa Benhamadi dirige le Cerist jusqu’en 2002, avant d’être élu député à l’Assemblée populaire nationale sur les listes FLN. Il a occupé de hauts postes dans l’enseignement et présidé quantité d’instances officielles.
Moussa Belhamadi, c’est aussi l’un des rares responsables à s’être opposé à la privatisation d’Algérie Télécom ou plus précisément à «l’ouverture du capital», alors que d’autres y étaient plus ou moins favorables sous prétexte de «compter sur l’expertise et l’appui financier de grands groupes internationaux tels que France Telecom ou de British Telecom». Il a affirmé à plusieurs reprises que «AT se développera seule, elle en a les moyens». L’Etat, qui a envisagé l’option à l’époque de Boudjemaâ Haïchour, a fini par abandonner cette piste. Nouvelle victoire pour Benhamadi.
Le passage de Hamid Bessalah a permis de mieux affiner la stratégie e-Algérie 2013, de la discuter entre professionnels du secteur et tenter de convaincre tout le monde que c’est plus qu’un document de travail : c’est une feuille de route pour le futur technologique de l’Algérie. Mais on lui faisait le reproche d’être plus académique que politique. Tout était dans le discours, dans les intentions, dans les schémas, mais sur le terrain, la situation avançait à petits pas, alors qu’il faut faire des sauts technologiques et prendre les bonnes décisions qui engagent non seulement le secteur, mais le pays tout entier.
Par cette nomination, Moussa Belhamadi aura une mission bien précise : relancer le secteur et le sortir des sentiers battus. Il s’agit de redonner des forces à Algérie Télécom qui doit être la locomotive. Deuxième challenge : dépoussiérer la filiale mobile du groupe Algérie Télécom, Mobilis, qui a du mal à percer dans un environnement très concurrentiel. Va-t-elle profiter des difficultés d’OTA pour bousculer la hiérarchie et avoir l’ambition de se hisser sur la plus haute marche du podium ? Mobilis, qui est un opérateur public faut-il le rappeler, doit en principe jouer dans la cour des grands alors que, jusque-là, il a connu un développement en dents de scie.
Mobilis peut-il rebondir ?
La première chose à faire est de désigner officiellement Azouaou Mehmel comme DG ou le remplacer par un autre cadre. Le provisoire n’est pas fait pour stabiliser l’entreprise qui a besoin plus que jamais de sérénité. En pleine tempête qui l’a poussé à démissionner, Azouaou Mehmel a eu le soutien de Belhamadi qui lui a demandé «de tenir bon» et surtout «de ne pas céder aux pressions». Ainsi, il a de fortes chances de poursuivre sa mission. Il y a aussi le défi Internet : l’Algérie est loin d’être une championne dans ce domaine. Alors que nos voisins ont avancé, nous sommes restés avec un Internet à débit moyen. Or, sans véritable haut débit, les services en ligne n’ont aucune chance de devenir une réalité, encore moins de devenir une pratique courante des Algériens. Sans haut débit, le commerce électronique restera au stade de projet ou de démonstration sans lendemain. Sans haute débit, l’administration en ligne ne se fera pas et le citoyen continuera à aller à l’APC pour affronter la bureaucratie et les lenteurs.
C’est à ces défis que Benhamadi sera confronté. Il sait que ce ne sera pas une partie facile, surtout qu’il faudra faire admettre que Internet n’est plus simplement un outil de navigation de cybercafés, mais un outil de travail, de recherche et en somme d’ouverture vers le monde. Les technologies sont au coeur des systèmes économiques des Etats les plus avancés.
A travers les télécoms, c’est l’image de l’Algérie qui s’affiche, c’est un des indices de notre développement ou sous-développement. Internet, c’est aussi des sites dynamiques donc des serveurs : il faut refuser d’opter pour un site vitrine (appelé également site plaquette ou site identité) qui peut servir de prétexte à un début de présence sur le Net, mais pas pour longtemps.
Le choix est technologique, mais sa portée est bien plus large. Le site plaquette n’offre aucune information à valeur ajoutée. Pour avoir une idée de ce retard, il suffit d’indiquer que l’Algérie compte moins de 7000 sites Web contre 16 000 en Tunisie.
C’est à toutes ces questions que devra répondre Moussa Belhamadi. Un pari qu’il pourra gagner s’il y a la volonté politique et l’énergie des professionnels du secteur.