Ce n’est peut-être pas leur but initial, mais tous ces sites marchands sur Internet vont pousser à assainir le véritable commerce dans la mesure où on exigera la même qualité de service que nous devrions retrouver sur ces mêmes sites. Encore que, on nous avait bien promis un eldorado d’emplois par milliers, des investissements en millions de dollars ou d’euros, un réel transfert technologique. Cet eldorado avait pour nom… « call-centers » !
Il y a bientôt trois ans ; nous nous demandions dans ces mêmes colonnes si l’Algérie était « capable » d’e-commerce et de paiement en ligne. Il y a un peu plus d’une semaine, la même question avait été posée de nouveau mais, cette fois-ci, par les acteurs qui vont tout compte fait apporter cette « réponse ». Si on remonte plus loin dans la chronologie des IT en Algérie, cela va faire maintenant plus d’une décennie que nous aurions dû avoir notre e-commerce et surtout notre e-paiement si le projet portugais avait abouti dès 1999. Et notre 3G d’ailleurs ! Mais ce n’est pas le cas. Toutefois, les premiers profils « téméraires » qui se sont tout de même lancés dans l’aventure d’un créneau nouveau ont commencé à voir le jour depuis 2009 et c’est véritablement dans un terrain inconnu qu’ils avancent depuis.
Les spécialistes ont longtemps préconisé un « e-commerce » orienté « B-2-B » (intra-professionnel) et la vente de services de petits montants, le but étant que cela serve de test grandeur nature et que la machine soit parfaitement rôdée.
Parlons-en…
Puis il y a eu Octave.biz. Très soutenue dans sa démarche de prospection et d’implantation par Ubifrance, agence spécialisée dans l’accompagnement des entreprises françaises à la recherche d’opportunités d’affaires à l’international, Octave.biz, depuis 2012, année de son implantation en Algérie, s’était montrée très offensive sur le segment qui est le sien.
C’est à elle que l’on doit ce qu’on peut appeler les premiers « états majors » de l’e-commerce, qu’elle avait organisés en réunissant les principaux jeunes entrepreneurs qui ont lancé, chacun selon sa compréhension et son interprétation du métier, des sites marchands sur le Web.
D’autres invités, des industriels et des institutionnels, avaient également répondu présent aux « Rencontres du e-commerce », deuxièmes du genre, les premières ayant été organisées de façon plus ou moins formelle en novembre dernier dans un cadre décontracté. Une « décontraction » qui n’a pas totalement marqué cette deuxième édition qui a vu des débats vifs, où on sentait le besoin de comprendre ce qu’est l’e-commerce, qui fait quoi et comment.
Faux fuyant ?
Prenons l’exemple de Mme Newel Benkritly, directrice générale de la Satim (Société d’automatisation des transactions interbancaires et monétiques), dont « l’obsession » est l’existence, claire, précise et impérative, d’une réglementation qui protège le consommateur qui achète sur Internet. Quelle réglementation ?
Celle qui définit noir sur blanc tous les cas possibles et imaginables pour protéger le consommateur dans son acte d’achat en ligne et, ce faisant, son acte de paiement en ligne. Ce genre de détails à ne pas laisser au hasard comme le droit de rétractation, le droit de remboursement, le droit de remplacement, les procédures de règlement des litiges… Face à elle, des entrepreneurs, jeunes ou moins jeunes, qui, très attentifs, y sont allés de leurs arguments chacun et, encore une fois, de leur interprétation des choses. Pourtant, bien que Mme Benkritly ait raison de vouloir un terrain balisé pour l’activité de la vente en ligne, et bien que ses vis-à-vis ne « comprennent » pas pourquoi autant de temps, il n’en demeure pas moins que la question de la réglementation sonne quelque peu comme un « faux fuyant », tout comme ce fameux argument qui lie tout retard, voire tout échec dans le domaine des nouvelles technologies de l’information et de la communication, comprendre e-gouvernance, e-administration, e-commerce, e-paiement… à une « culture » réfractaire à tout changement induit par l’utilisation de nouvelles méthodes modernes de la vie courante.
Nous avons entendu le même raisonnement il n’y a pas quelques jours de la part d’un conseiller auprès du ministre de la Poste et des TIC qui intervenait dans une émission télévisée sur Canal Algérie.
Ce n’est ni plus ni moins qu’un « faux fuyant » qu’aucune étude anthropologique, sociale, psycho-sociale n’en a fait la démonstration ni même démontré la preuve.
Noir sur blanc
Lors de la tenue d’un forum d’affaires sur la monétique à Alger, en mars 2012, auquel avait pris part la Satim, sa directrice générale, à une question sur le volet de la réglementation et ce qu’elle en entendait et surtout attendait, répondait : « Lorsque nous avions mis en place le centre de pré-compensation, la monétique avait déjà été prise en compte. Il y a un énorme travail qui avait été fait sur l’aspect juridique et le seul domaine qui n’a pas été abordé, car il n’était pas d’actualité à ce moment-là, c’était le e-commerce, c’est-à-dire le paiement par Internet. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs nous n’avons pas pu le lancer. » Plus loin, sur ce qu’il y a lieu d’entreprendre, elle poursuit : « Pour ce qui est du paiement sur Internet, il y a un travail complémentaire à faire que nous avons commencé. Il est question d’aborder la partie réglementation. La vente à distance n’est pas du tout réglementée, laissant un vide juridique susceptible de porter préjudice aux consommateurs. L’intérêt de la place financière est de ne pas déstabiliser le système de paiement actuel. Un travail de recherche avait été mené en association avec les banques et la Satim afin de déblayer le terrain à travers des comparaisons entre ce qui existe chez nous par rapport aux normes internationales et d’identifier ce qui nous manque pour lancer le paiement en ligne. Nous sommes arrivés à évaluer le gap existant entre nous et ce qui se fait de par le monde et ainsi pouvoir faire des propositions dans le sens de compléter la partie réglementaire.
Dans un premier temps, avec des protocoles d’accord, des contrats, des conventions de place… qui régiront les relations entre les parties en l’absence de lois puis, dans un second temps, arriver à faire des propositions aux autorités afin de pouvoir justement réglementer tout ça.
Aujourd’hui, nous sommes dans la phase préparatoire. C’est un dossier qui va être soumis. Mais il n’y a pas que cette partie-là. Il y a la partie des litiges par exemple. Comme nous avions réglementé les litiges sur les distributeurs automatiques, sur les paiements de proximité, il faut le faire sur Internet. Un client qui achète un service ou un bien sur Internet et qui ne le reçoit pas ; comment prouver la mauvaise foi, comment protéger les deux côtés, aussi bien l’enseigne que l’utilisateur. Et ces questions-là nécessitent du temps. Il y a un dossier qui vient d’être constitué, il sera soumis aux organismes concernés, entre autres le ministère de la Justice, celui du Commerce, des Finances, la Banque centrale… institutions qui doivent toutes apporter leur concours. »
Voilà, c’était en 2012 ! Néanmoins, paiement en ligne mis à part, le commerce est déjà régi par un code, identifié par des lois et les relations entre acheteur et vendeur clairement énoncées. Oui, le consommateur algérien est déjà protégé, et très bien protégé même ; protection consacrée par la loi 09-03 relative à la protection des consommateurs et à la répression des fraudes. Et ce document pourrait parfaitement servir de référence dans les relations entre les sites marchands actuels et les potentiels consommateurs, en lieu et place de CGV peu convaincants. Un consommateur reste un consommateur, ayant affaire à l’épicier du quartier ou à un site marchand.
« Mission civilisatrice »
Au cours des discussions, un terme avait fait mouche. Certes, elle n’en a pas l’exclusivité car beaucoup ont parlé de « mise dans le bain » avant, mais Mme Fatima-Zohra Hassene Daouadji, l’une des responsables du site Nechrifenet.com, a parlé d’« éduquer » l’utilisateur, donc le consommateur. Il est bel et bien question ici, au-delà de la réglementation chère à Mme Benkritly, d’« éduquer », voire de « réapprendre » à acheter ! Aujourd’hui, les consommateurs que nous sommes, à travers les sites comme Nechrifenet, Guiddini ou encore eCherily, ne peuvent que nous réconcilier avec des pratiques commerciales saines : la preuve d’achat (le ticket de caisse), la garantie, une transparence des prix… Cette même relation qu’a « gâchée » une libéralisation effrénée et brutale de l’économie nationale, la transformant en immense bazar. Ce n’est peut-être pas leur but initial, mais tous ces sites marchands sur Internet vont pousser à assainir le véritable commerce dans la mesure où on exigera la même qualité de service que nous devrions retrouver sur ces mêmes sites. Le terme « éduquer » est tellement adéquat et juste qu’il suffirait presque à lui seul à expliquer pourquoi, malgré l’existence d’une réglementation dense qui la régit, la « monétique de masse » n’a jamais pris depuis des années. Rien que pour le secteur bancaire, moins de 900 000 cartes CIB (de paiement) ont été mises en circulation pour 2011, totalisant plus de 5 millions d’opérations de retrait pour seulement… 5 000 opérations de paiement, principalement sur des TPE. Pourtant, la réglementation existe. Sur plus de 2 millions de commerces en activité, moins de 4 000 TPE ont été déployés. Pourtant… bis repetita ! Ces nouveaux investisseurs qui se lancent dans le défi du e-commerce ont la lourde tâche de réussir l’expérience utilisateur et de se démener pour offrir la meilleure qualité de service. C’est leur seule « plus-value » pour l’instant, sachant qu’ils ne peuvent pas jouer sur les « prix » ni des produits vendus ni même sur celui des livraisons. Pour cela, ils ont besoin d’une masse critique, d’un marché très dynamique et d’une concurrence dense. Nous n’en sommes pas encore là.
Synergie
Algérie Poste aurait pu, dû, être le véritable précurseur au vu de sa seule expérience en matière de traitement fiduciaire de masse. La Satim aussi. Mais aucune des deux institutions n’en a fait une réalité. Techniquement, les plates-formes existent, fonctionnent et sont éprouvées. Que pourrait-il manquer alors ? L’écosystème nécessaire et la décision. Qu’est-ce que l’écosystème ? Il ne peut pas y avoir de transactions en ligne ou de paiement en ligne en reposant sur l’unique infrastructure télécoms dont Algérie Télécom a le seul monopole. Ce même écosystème a besoin d’intervenants aussi divers que variés : le transporteur a besoin d’une base de connaissance géographique afin de livrer vite et bien; le réseau sur lequel repose la transaction a besoin de redondance si jamais celui-ci connaît une avarie, la connectivité par Internet constitue les veines de l’e-commerce, et donc le degré de propagation des services réseaux en pourvoyant un accès facile à Internet est déterminant. Améliorer la présence électronique des entreprises dans le Web et de leurs services est un autre facteur déterminant, ainsi que la création d’espaces d’échange interentreprises. Tout un écosystème où chacun joue un rôle bien précis. La décision ? De multiples voix, aussi bien au niveau de la Satim, du ministère de la Poste et des TIC que celui du Commerce, « s’agacent » de démarches en « solo », dans la mesure où, nonobstant les commissions, les groupes de travaux et les comités de pilotage intersectoriels créés autour des questions liées aux IT, tous prêchent pour leur propre paroisse. Même si, en ce qui concerne le ministère du Commerce, dont on pourrait – logiquement – regretter la discrétion sur la question, il a toujours été partie prenante du débat à travers des comités de pilotage ou à travers des mises à niveau de la réglementation dans le domaine du commerce avec spécialement le « 511.145 » qui a le mérite d’inscrire la vente à distance comme une activité commerciale à part entière. Encore une fois, les questions liées à la réglementation ne doivent pas constituer un handicap; au même titre que le déploiement de la carte de santé Chifa n’a vu la réglementation régissant les aspects liés au stockage et au traitement des données des utilisateurs ainsi qu’à la plate-forme de transmission de ces mêmes données et surtout à la certification électronique rédigées et adoptées au fur et à mesure. Une façon de faire qui privilégie des lois souples modifiables selon l’expérience et le vécu. Au stade actuel des choses, deux textes devraient très vite être soumis à qui de droit, l’un concernant les transactions électroniques, et l’autre, qui se trouve déjà au secrétariat général du gouvernement, lié à la protection des données personnelles, finalisé par le ministère de la Justice. Un autre dossier à moitié fini est lié à la certification électronique. Oui, la certification électronique est l’autre élément indissociable de l’écosystème.
Pari engagé
Au même moment où avaient eu lieu les « Rencontres du e-commerce », eMarketer, spécialisée dans l’analyse et la surveillance des activités liées à l’e-commerce, revenait sur une année 2012 « fastueuse », car l’e-commerce mondial a enregistré et dépassé son premier trillion de dollars de chiffre d’affaires. Devançant les Etats-Unis et l’Europe, c’est la région Asie-Pacifique qui prend la tête. La région « Middle East – Africa », dans laquelle est intégrée l’Algérie, n’a représenté que 1.9% et ne représentera que 2.3% du volume global… en 2016.
En Algérie, c’est encore de l’ordre de quelques commandes par-ci, par-là ! En attendant, au cours de ces journées, les participants impliqués dans une entreprise de vente en ligne ont pris conscience qu’il fallait d’ores et déjà se liguer et former un « groupe » destiné à être l’unique interlocuteur à défendre les intérêts de la corporation afin de « standardiser » la profession, allant jusqu’à suggérer l’idée d’un label qui puisse mettre le consommateur en confiance. Mais ces journées ont-elles finalement répondu à la question ?
Oui, l’Algérie est bel et bien capable d’e-commerce et d’e-paiement comme tout pays dans le monde sauf que leur réussite dépend directement d’un écosystème solide et d’intervenants qui seront les seuls responsables de l’avenir de ce secteur dont le potentiel en termes d’emplois ; qu’ils soient directs ou indirects, et de créations d’entreprises est tout simplement inimaginable. Il est énorme.
Autrement, l’e-commerce et l’e-paiement en Algérie ont de grands risques de connaître le même destin que celui de la monétique de masse, à laquelle on continue de préférer le cash. Mais là, c’est une question de comportement à s’approprier et non de… culture !
C’est comme si l’on disait que l’alphabétisation, ce n’est pas notre problème. L’équivalent aujourd’hui est l’audio, l’image et la vidéo à distance!