Dans les universités, en dehors de celles-ci, un noyau de jeunes esprits entrepreneurs a émergé, avec la volonté de créer des entreprises viables dans le secteur des nouvelles technologies. Ils possèdent tout ce qu’il faut ou presque : des idées, de l’énergie, de la volonté, des connaissances… Mais très souvent, face à la réalité du terrain, ce « tout » devient en fin de compte insuffisant. Dans l’entretien qui va suivre, nous découvrirons que les « jeunes entrepreneurs », quel que soit leur talent, n’en demeurent pas moins tributaires de conseils et d’orientations… souvent bien plus que de financements.
IT Mag : Voulez-vous nous présenter Grant Thornton Algérie, ses métiers ainsi que son positionnement sur le marché du conseil…
M. Rafik Boussa : Le Groupe Grant Thornton Algérie est membre de Grant Thornton International, présent dans plus de 120 pays et 500 villes dans le monde avec un effectif de plus de 35 000 experts. Le cabinet de commissariat aux comptes Boussa & Associés créé en 1986 a vu ses activités se développer et a donné naissance à AFC El Djazaïr SPA en 2007.
Le cabinet de référence pour l’implémentation du système comptable financier IAS/IFRS. En 2011, AFC est devenu membre de la 5e organisation mondiale d’audit et de conseil Grant Thornton International, basée à Londres. Notre approche repose fondamentalement sur la proximité entre nos équipes d’experts et les dirigeants ; grâce à des échanges réguliers et transparents. Aussi, nous proposons en Algérie une large gamme de services, dont l’audit, Tax, Advisory, outsourcing ou encore du training.
L’audit au sens large regroupe plusieurs lignes de services, l’audit organisationnel et des ressources humaines, l’audit des systèmes d’information, audit du système de contrôle interne… Nous collaborons essentiellement avec les grandes entreprises et les PME de certaines tailles. Nous ciblons les organisations dynamiques qui ont un potentiel de croissance en les aidant à déverrouiller leur potentiel de croissance. Il est à noter néanmoins que la culture de recourir à des cabinets de conseils et d’expertises reste faible. Les entreprises algériennes évoluent dans un environnement où la primauté est donnée à l’investissement matériel. L’investissement immatériel n’est pas apprécié, parfois, à sa juste valeur.
Quel est votre apport en termes d’expertise TIC ?
Nous disposons d’une ligne des services dédiée au système d’information qui constitue un facteur déterminant pour l’innovation, d’accompagnement de la stratégie et vecteur de performance de l’entreprise.
Notre approche d’accompagnement systémique englobe trois axes fondamentaux : organisation, processus et système d’information, qui permettent de garantir la cohérence d’ensemble en s’assurant de leur adéquation avec la stratégie de développement. Nous pensons que plusieurs entreprises algériennes ne prennent pas, d’une manière adéquate, en compte les problèmes et risques liés aux systèmes d’information (défaillance et plan de continuité d’activité) et ne les intègrent pas dans leur plan stratégique de développement. Nous constatons lors de notre intervention au niveau de nos clients que les systèmes d’informations sont souvent perçus comme très techniques et sont délégués à des spécialistes ayant un faible niveau de contrôle sans évaluation réelle du niveau de service rendu; qui se résume souvent à un suivi budgétaire. Notre ligne de services système d’information s’articule autour de cinq principaux axes que sont la revue des contrôles généraux informatiques ; la sécurité du système d’information, le schéma directeur informatique, la revue des processus et des applications et enfin des missions d’accompagnement. Notre appartenance à Grant Thornton International, organisation puissante d’audit et de conseil, nous permet de partager avec les organisations algériennes les Best Practises au niveau international à travers un transfert de technologie et de partage du know-how.
Dans ce domaine particulier de l’expertise, existe-t-il une particularité ou une spécificité typiquement algérienne ?
Le marché algérien des TIC se développe à un rythme soutenu. La fracture numérique ou le gap technologique demeure important en dépit des progrès réalisés ces dernières années. Le marché des TIC offre d’énormes potentialités de croissance pour les entreprises du secteur et des cabinets conseils. En revanche, nous pesons qu’il est primordial pour les acteurs du secteur de tenir compte des spécificités du marché local, de l’environnement économique, social et financier dans lequel l’entreprise algérienne opère, lors de l’implémentation ou la mise en œuvre des solutions TIC. En effet, calquer des modèles qui ont réussi ailleurs et tenter de les dupliquer systématiquement et intégralement sur le marché local risque d’être fatal pour l’entité bénéficiaire.
Calquer un modèle qui a réussi ailleurs serait-il économiquement « suicidaire » ?
Absolument. Je pense qu’il faut prendre en considération le contexte local, avec toutes ses facettes, ses difficultés, ses opportunités, ses menaces, ses forces et ses faiblesses. C’est pourquoi nos équipes d’intervention sont composées d’experts internationaux et nationaux pour assurer un meilleur ancrage dans le contexte local.
Quel regard portez-vous sur le degré d’appropriation et d’intégration des TIC en entreprise ?
Nous estimons que le degré d’appropriation et d’intégration des TIC en entreprise reste moyen, voire faible et qui jouxte parfois le très faible. Nous pensons que les entreprises algériennes souffrent d’un gap important en termes d’implémentation des TIC en dépit des progrès réalisés. Nous constatons, en revanche, de plus en plus d’interconnexion, d’informatisations, et d’urbanisation des systèmes avec la génération dite Web 2.0.
Quelle en serait la raison ?
Elle réside dans la problématique de manque de ressources adéquates, qu’elles soient financières ou humaines, et dans la problématique liée à la résistance aux changements liée parfois à des différences culturelles ou de perception entre les générations.
Pourquoi ne font-elles pas tout simplement ce changement. Un problème d’argent ?
Certes, pour certaines PME, c’est un problème de manque de ressources financières bien que le retour sur investissements soit garanti en termes de gain de productivité, d’amélioration des performances et d’une bonne gouvernance. Puis, il y a la question liée à la résistance au changement. Dans certaines organisations, l’intégration des TIC est perçue, à tort, comme une menace de perte de contrôle ou de pouvoir au sein de ces entités alors qu’elle constitue au contraire un vecteur de croissance et de performance.
Il pourrait en être de même à un niveau institutionnel…
Si nous disposons d’un vivier d’entreprises qui sont bien gouvernées dans un environnement de démocratisation de l’usage des nouvelles technologies de l’information et des télécommunications, au niveau individuel, au niveau de l’institution, et enfin de l’administration, c’est tout cet ensemble qui fera partie de ce qu’on appelle aujourd’hui la gestion de la performance et ce, à un niveau global l’économie algérienne. Il faut savoir que les organisations évoluent dans un écosystème où les interrelations entre les différents business-model sont importantes. Les entreprises, publiques ou privées; petites, moyennes ou grandes, traitent entre elles et avec les différentes administrations et institutions, fiscale, douanières, les banques, les organismes sociaux, les collectivités locales… Une meilleure gouvernance, une mise en place des systèmes d’information au niveau des différents intervenants, à travers l’e-administration, l’e-gouvernance… permettra sans aucun doute une amélioration de la compétitivité des entreprises algériennes dans un contexte d’ouverture économique et de démantèlement tarifaire irréversible.
Parlons de l’innovation. Quel pourrait être l’intérêt de l’innovation pour une entreprise qui éprouve elle-même des difficultés à se mettre à niveau ?
Tout est basé sur l’innovation, tout est basé sur la recherche. Sans innovation, il n’y a rien. Il est rare de voir une entreprise algérienne disposer de son propre département « recherche et développement ». C’est encore très faible. Et le facteur clé du succès, c’est justement qu’il y ait de l’innovation et de la recherche au niveau des entreprises. Ces dernières devraient penser à consacrer une partie de leurs bénéfices dans ce volet précis. C’est un élément fondamental. Il faut aussi qu’il y ait un soutien de l’Etat, sous différentes formes, encouragements financiers ou exonérations fiscales, mais bien plus encore, de la formation.
L’entreprise algérienne est-elle capable de financer l’innovation ?
Au niveau mondial, derrière chaque grande entreprise, on retrouve des pépinières d’entreprises ou des PME qui gravitent autour. C’est comme au niveau de la faune et de la flore ! Il y a une multitude d’acteurs, de différentes tailles, de différents secteurs, de différentes variétés de petites et moyennes entreprises qui gravitent autour de la grande entreprise et qui travaillent entre elles. Il existe aussi différentes configurations possibles de type partenariat ou sous-traitance mais la finalité, c’est qu’il y ait une forte collaboration, une forte coordination et une relation entre la grande entreprise et celles qui évoluent autour d’elle. Des schémas de financement croisés de la « R & D » mutualisés qui sont parfois retenus entre les acteurs de la chaîne de valeurs. Aujourd’hui, l’enjeu se situe dans la recherche et le développement. Certaines entreprises manquent de ressources humaines hautement qualifiées pour conduire de la recherche ou manquent de ressources financières.
Quel modèle de financement préconiseriez-vous ?
Les pouvoirs publics ont prévu certaines formes de financements et de renforcement de la compétitivité des PME à travers la mise en place de l’Agence nationale de développement des PME (ANDPME) ou encore l’Ansej qui permettraient aux jeunes talents d’exprimer leur potentiel en démarrant leur activité. D’autres modes de financement existent auprès des entreprises qui parfois financent des projets ou ce qu’on appelle des sociétés de capital investissement ou capital-risque « Venture Capital ». Les investisseurs en capital risque apportent du capital, ainsi que leurs réseaux et expériences à la création et aux premières phases de développement d’entreprises innovantes ou de technologies considérées comme à fort potentiel de développement et de retour sur investissement. En Algérie, le financement des entreprises est assuré majoritairement par le secteur bancaire. Le marché boursier algérien n’est pas encore très développé. La création d’un compartiment de cotation pour les entreprises technologiques de type Nouveau marché impulserait une dynamique et favorisera le financement et la croissance des entreprises.
Avez-vous-mêmes conseillé ou suggéré à vos clients de faire des placements financiers dans de jeunes start-up ?
Absolument. Comme énoncé précédemment, la fracture numérique est tellement importante que la marge de progression des entreprises du TIC est spectaculaire. Nous avons conseillé plusieurs de nos relations d’investir dans les TIC à travers un placement financier dans des start-up, entre autres. Cela dit, la meilleure garantie à proposer aux bailleurs de fonds est la rentabilité de l’affaire. Le montage financier devrait être fait par des professionnels pour une optimisation du financement.
Généralement, quand on parle d’argent, on regarde du côté des banques. Quel pourrait être leur rôle ?
Elles ont un rôle très important pour fluidifier et irriguer l’économie en finançant les projets porteurs et créateurs de richesse. Si l’entreprise n’est pas accompagnée d’une manière adéquate et suffisante dans son financement, à des conditions avantageuses, elle risquerait de disparaître.
La banque doit prendre plus de risques ?
Le métier de la banque, par définition, c’est de prendre des risques. Après ce sont des risques mesurés. Il est utile de rappeler qu’il s’agit de l’argent rémunéré des déposants, que le banque se doit de le sécuriser et de le fructifier au travers de l’intermédiation financière optimisée du couple risque – rentabilité.
L’approche en termes de risk-management et le modèle de financement des entreprises issues du secteur des TIC devrait être traité différemment du financement classique des autres secteurs économiques.
Pensez-vous qu’en Algérie, ce sont les banques qui seraient frileuses ou alors les jeunes entrepreneurs qui vendraient mal leur idée, donc leur projet ?
Comme énoncé précédemment, la banque en faisant de l’intermédiation financière optimise le couple rentabilité et risque, en alliant sécurité et rentabilité de l’épargne collectée.
Cela dit, l’entrepreneur qui souhaite lever des fonds pour financer son projet doit bien « vendre son projet », il doit être convaincant et percutant. Pour augmenter ses chances de succès, il est recommandé de se faire assister par des professionnels rompus aux conseils financiers pour l’élaboration du plan d’affaires et pour l’accompagnement à la négociation avec les bailleurs de fonds.
Mais se faire assister coûte de l’argent, argent qu’un jeune entrepreneur ne possède pas forcément…
Effectivement, c’est une contrainte. Mais le challenge pour un jeune entrepreneur, c’est de faire face à toute sorte de contraintes.
Il existe des alternatives, que ce soit faire appel à des incubateurs d’entreprises qui ont accès à des conseillers ou alors carrément aller voir un cabinet d’expertise, lui vendre son idée pour l’accompagner et de convenir de conditions de paiements adéquates, un montant d’honoraires modeste au départ et un montant variable lié au succès de l’opération de levée de fonds par exemple. Pour peu qu’il soit convaincant ! C’est ça l’entreprenariat en définitive !
Vous avez parlé de marché boursier comme mode de financement…
Le marché boursier pourrait constituer aussi une alternative en matière de financement des entreprises en général et celles issues des TIC en particulier.
La création d’un compartiment dédié aux entreprises du secteur des TIC avec des conditions d’accès simplifiées permettrait de booster les entreprises et le marché boursier.
Quels seraient vos conseils aux jeunes diplômés qui veulent se lancer dans l’entreprenariat ?
Persévérer et ne pas baisser les bras à la première difficulté. Là où il y a la volonté, il y a un chemin.