Est-ce la fin de la scholastique ? La scholastique, dérivée de « schola », qui renvoie à l’école, au temps libre et aux loisirs consacrés à l’acquisition du savoir. Une philosophie du savoir à la base de la connaissance acquise et transmise à l’école du triptyque maître-élève-tableau noir. A l’heure des TIC et du tout-numérique, la question n’est en rien une provocation, pas même du ratiocinage de la part de quelques geeks fanatiques qui voudraient à jamais éliminer le tableau, la craie, l’encre et le stylo à bille. La question se pose ailleurs où on se dit de plus en plus qu’il est temps de passer à d’autres méthodes d’enseignement tourné vers le partage et le travail collaboratif… et de suivre ainsi la nouvelle orientation des outils numériques. Belle idée et jolie perspective que celles de donner toute la place au numérique à l’école. En Europe et aux Etats-Unis où le débat est engagé depuis longtemps déjà, il est question de transmettre autrement des savoirs à des enfants qui évoluent depuis leur naissance dans une société irriguée par le numérique. Car il s’agit d’évidence de donner à chacun les clés pour réussir dans sa vie personnelle, sociale et professionnelle future. Ce qui nécessite de repenser en profondeur la manière d’apprendre et d’enseigner ainsi que le contenu des enseignements. Les TIC, qui évoluent à la vitesse de la lumière, imposent, avec force, que l’acquisition et la transmission des lumières de la connaissance s’accomplissent selon des techniques et des méthodes adaptées. Il faut donc que l’école change en profondeur et adopte une informatique calquée sur nos outils d’écolier de toujours. Cela passerait alors par la création de ressources numériques pédagogiques, un service d’échange élève – professeur après la classe, un réseau des professionnels de l’éducation, un campus numérique, de nouveaux télé-services, un axe sur l’accessibilité via le numérique, un lien numérique entre l’école et les parents, et bien d’autres passerelles… L’école se numérise, quelle formidable saut vers le ciel de l’humanité, mais quelle gageure pédagogique car le sujet est autrement plus profond qu’une question d’équipements ou de nouveaux services ! Cependant, à y regarder de près, on est frappé de constater à quel point les outils numériques sont calqués sur notre bonne vielle éducation. Depuis l’Ancien Testament, Aristote et Saint-Thomas d’Aquin, on n’a rien inventé de nouveau, sauf les outils, la manière et la vitesse à laquelle les connaissances sont transmises. Qu’avons-nous appris à l’école, si ce n’est qu’il fallait travailler sur des livres et des cahiers-classeurs-feuilles. Qu’à cela ne tienne, l’univers numérique leur a trouvé des équivalents faciles à repérer : répertoires et fichiers. Nous avons su alors que ces outils servaient à lire, écrire et compter. Actions aisées à réaliser grâce à des applications, tels les navigateurs web, les éditeurs de texte du type de Word et les tableurs comme Excel. Au final, les élèves passent au tableau devant le maître ou la maîtresse, ce qui peut facilement se comparer à une présentation Powerpoint bien charpentée et éloquemment commentée…. Accessoirement, on nous demande de dessiner… d’où le fait qu’Adobe Photoshop soit assez minoritaire ou encore que Paint Windows soit si « simpliste » que ça… Sur ce point, ne perdons pas de vue quand même que Microsoft a conquis le monde en se basant sur ces habitudes issues de la formation et aussi ancienne que le papyrus et la tablette en bois : lire, écrire, compter et, comme un peu plus tard, passer au tableau. Voilà pour les postulats de base. Mais il y a plus profond à ce sujet. Les méthodes éducatives traditionnelles sont caractérisées par trois piliers : le fait de travailler seul, de tout apprendre par cœur et de venir en classe… et là, la révolution numérique s’oppose totalement à ces modalités de travail et d’apprentissage.
D’abord parce que les TIC permettent de tout faire en mobilité et en partage. L’idée même du mouvement implique de se demander alors pourquoi obliger les élèves à se déplacer physiquement ? Ensuite, il y a les moteurs de recherches comme Google et les instruments d’accumulation collaboratifs telle l’encyclopédie Wikipédia, ainsi que les multiples outils de listes. Calendriers, agenda téléphoniques, mais aussi réseaux sociaux avec leurs profils utilisateurs : tous ces outils rendent inutile ou secondaire le besoin de mémoriser les informations, étant donné qu’il suffit de savoir où les retrouver sur le Net. C’est aussi net que ça ! Tout compte numérique fait, et là on touche également le domaine du collaboratif et des réseaux sociaux d’entreprises, l’approche individuelle de résolution d’un problème est mise en équation, remise en question même, par le travail en commun, le partage d’informations et de solutions. Et aussi extraordinaire ou répréhensible que cela puisse paraître, le copier-coller est fortement encouragé et le travail en groupe favorisé car plus efficace ! Paradoxalement, ce que l’école de Jules Ferry ou de Cheikh Abdelhamid Ben Badis nous a appris à ne pas faire… et c’est encore plus pour cette raison-là que la méthode d’apprentissage au numérique, telle que pratiquée actuellement en Occident, doit être une véritable révolution dans la façon même de penser le fait d’apprendre, la question pédagogique. Il faut maintenant apprendre non pas à faire soi-même, mais avec les autres. C’est un bouleversement majeur. La scholastique est morte, vive la scholastique 1.0 ou 2.0 ! Mais que l’on se comprenne bien, cette nouvelle façon de faire, philosophie scholastique s’il en fut, n’est possible que si le socle fondamental, c’est-à-dire « traditionnel », est de nouveau posé. Mais doit-on attendre d’avoir passé son bac pour apprendre ce type de méthode de travail ? Assurément, non. Mieux vaudrait consacrer plus de 50% des enseignements à apprendre à nos enfants à mieux collaborer, ce que l’école algérienne, archaïque en diable, fondée sur le « par cœur », la répétition et la restitution d’un minimum de connaissances, est loin de réaliser. L’enjeu est de taille. Pour que demain, dans toutes les strates de la société, notamment en entreprise, en milieu artistique, dans le monde de la recherche, en politique, dans les médias et pas seulement, on réfléchit ensemble et on pense autrement, dans un rapport pacifié aux autres : non plus en tant que compétiteurs, mais en coéquipiers, comme dans une équipe de football ou de hand-ball ! Belle idée philosophique, vaste programme politique. Mais, bonne nouvelle tout de même : les outils numériques d’aujourd’hui suivent justement cette orientation. Evolution salutaire, qui implique finalement que le copier-coller ne soit pas aujourd’hui un maître d’école coranique ! C’est-à-dire que la nouvelle école numérique apprenne à accumuler ensemble, à échanger en commun et, surtout, à réfléchir à plusieurs, selon la devise des mousquetaires : tous pour un et un pour tous. C’est ainsi que l’école numérique serait l’école d’apprentissage du débat cadré et intelligent, voie royale vers l’acquisition de la culture démocratique.