20 janvier 2025

Dans les villages enclavés, Internet constitue un refuge pour les jeunes désœuvrés: Le monde virtuel, un remède contre l’oisiveté

Si pour les jeunes des grands espaces urbains, la Toile est exploitée pour des objectifs de tisser des liens d’amitié, faire des recherches ou télécharger des films, vidéos ou textes, entre autres, les habitants des localités enclavées la perçoivent comme un moyen indispensable, voire essentiel, pour atténuer les effets de l’oisiveté et du « dégoût » qui empoisonnent, il faut le dire, leur quotidien

Aussitôt réveillés d’un long et cauchemardesque sommeil, ils prennent le chemin du centre-ville où ils se réfugient pendant plusieurs heures dans les cybercafés. A chacun sa « mission » et son objectif, mais ils s’entendent tous à dire que le monde virtuel leur fait oublier la « lourdeur du temps, l’absence d’horizons et la pression de la société ». Il est en effet difficile de trouver un siège libre dans les cafés Internet au vu du grand nombre de clients qui y affluent sans cesse. A Draa El Mizan, Tizi Ghennif et Boghni (sud de Tizi Ouzou), comme à Mechdellah, Haizer et El Hachimia (Bouira), des cybercafés sont collés parfois l’un à l’autre, sans que cela se répercute sur leur rentabilité. L’essentiel est de disposer d’ordinateurs, de chaises et d’un abonnement à l’ADSL. Les accessoires (casques, climatisation, etc.) n’ont aucune importance pour les internautes. Cette réalité s’est d’ailleurs répercutée négativement sur l’attitude de la majeure partie des propriétaires de ces cafés Internet qui n’investissent nullement dans l’acquisition de nouveaux matériels et mettre en place les conditions idoines pour les clients. L’afflux massif des jeunes villageois vers ces espaces est aussi motivé par l’espoir de « dénicher une bonne affaire » à même de les extraire définitivement du marasme qui enveniment leur vie. Avec l’apparition des sites de socialisation, notamment Facebook qui compte près de quatre millions d’abonnés en Algérie, les villageois tiennent à se faire le maximum de connaissances. « Nous venons au cyber pour discuter avec des gens d’autres régions du pays. Ça nous permet d’avoir des informations sur le mode de vie dans ces localités et parfois on essaye de trouver des solutions à nos problèmes en sollicitant nos amis virtuels. Pour le moment, on n’a que des promesses, mais tant que Facebook est là, l’espoir doit rester de mise », avoue un groupe de jeunes chômeurs croisés dans un cybercafé au centre-ville de Draa El Mizan. « Nous avons des diplômes en économie de gestion depuis plus de trois ans. Nous travaillons de temps à autre dans les chantiers de bâtiment comme manœuvres et nous voulons décrocher des emplois stables et conformes à notre formation. Nous sommes persuadés que les lourdeurs bureaucratiques n’existent pas sur le web », ajoutent nos interlocuteurs. Outre Facebook, ces jeunes consultent les sites de recrutement et ceux des associations patronales. Le rêve de l’émigration caresse également l’esprit de ces jeunes en proie à une oisiveté des plus préjudiciables. « Je continue à surfer sur la Toile jusqu’à ce que je tombe sur une personne qui pourra m’aider à quitter cette bourgade de misère. J’en ai marre ici, je risque de vieillir avant terme sans rien faire pour mon avenir. Pour être honnête avec vous, faire la connaissance d’une femme européenne ou américaine et la convaincre de m’épouser est une obsession pour moi. J’ai déjà échoué dans plusieurs tentatives, mais je continue à y croire. C’est ma raison de vivre actuellement », témoigne, à cœur ouvert, Meziane, la trentaine, ingénieur en électronique, habitant au village Ichoukrene, l’un des plus pauvres hameaux de Tizi Ghennif.
Le nom de famille pour « battre » le mauvais sort !
Les jeunes en difficulté sur le plan socioéconomique et menacé d’un avenir incertain ont opté pour une technique « novatrice » pour tenter de réaliser leurs rêves. Une technique qui reflète une certaine intelligence chez ces internautes et qui s’avère parfois payante. Sur le réseau social Facebook, on invite toutes les personnes qui portent le même nom de famille, attirer leur sympathie avant de demander l’aide à ceux qui semblent en être capables. « La famille algérienne est connue pour l’esprit de solidarité et d’entraide. C’est pour cela que nous essayons de connaître le plus grand nombre possible de membres de Facebook qui soient du même nom de famille. Moi, par exemple, j’ai rencontré des hauts responsables au sein de grandes entreprises nationales ou multinationales, des médecins, des chercheurs, des entrepreneurs… Je ne vous cache pas que j’attends un geste de leur part. Ils m’ont promis de m’aider et je ne doute pas en leur sincérité », avoue Slimane, licencié en langue allemande et résidant à Aït Allouane, dans la commune de Haizer (Bouira). Saïd, vingt-huit ans, ingénieur en travaux publics a déjà réussi grâce à cette « solution magique ». Six mois de présence quotidienne sur le réseau de socialisation lui ont permis enfin d’atteindre son objectif. « C’est par pur hasard que j’ai fait connaissance avec un cousin résidant depuis plus de trente ans à Oran et qui est directeur de ressources humaines dans un important groupe industriel. Il a commencé à me poser des questions sur le village, les vieilles personnes, les figues, l’huile d’olive…, affirmant que cela lui manquait beaucoup. Je lui ai dit que je voulais partir à Oran pour chercher un emploi et il m’a tout de suite promis de m’embaucher dans quelques jours. Il a tenu son engagement et depuis ma vie a complètement changé. Merci Facebook ! », se félicite-t-il.
D’autres internautes utilisent d’autres procédés comme la commune, le lycée fréquenté, la tendance politique pour former leurs groupes d’amis « virtuels ». Tous les internautes s’appuient donc sur Internet afin de faire face à un mode de vie amer et se permettent de rêver sur la Toile en attendant un dénouement tant attendu. « On ne baissera jamais les bras. On ira jusqu’au bout de nos ambitions. Si des jeunes ont réussi, pourquoi pas nous ? », insistent nos interlocuteurs.
Un créneau juteux
Ouvrir un cybercafé dans les villes entourées par un grand nombre de villages enclavés constitue un créneau qui suscite l’engouement des commerçants, certains pour engranger des gains substantiels. A Boghni, par exemple, le nombre de cybercafés dépasse largement celui des autres commerces. « Le qualificatif de cette ville ; entre un bar et un bar il y a un bar collé à cette ville depuis de longues années n’a plus raison d’être aujourd’hui. On devrait plutôt dire ; entre un cyber et un cyber il y a un cyber », ironise un chauffeur de taxi. Au niveau d’une seule rue, on trouve pas moins de six cafés Internet et dont les propriétaires avouent que cette activité est très porteuse et promet encore de demeurer ainsi pour de longues années. « Depuis que j’ouvre les portes de ce local à huit heures du matin, tous les postes restent occupés pendant toute la journée.
J’ai même aménagé un espace d’attente au vu du grand nombre des clients », assure un de ses gérants, qui est rentré au pays après plus de dix ans passés en Belgique. « Je ne vais plus penser à l’émigration.
J’ai mon commerce qui me permet de gagner parfaitement ma vie. Je vais ouvrir d’autres cybercafés et pourquoi pas investir dans l’industrie à l’avenir », ajoute notre interlocuteur, confiant. Au vu de l’engouement phénoménal pour Internet, certains jeunes arrivent jusqu’à réserver leur place d’avance en appelant le gérant du cybercafé lui demandant de leur laisser un poste libre. « Dieu Merci, cet investissement fonctionne très bien.
C’est très rentable par rapport à d’autres commerce », affirme Said, propriétaire d’un espace internet à Draa El Mizan.
Attention au déséquilibre psychologique !
L’addiction des jeunes désoeuvrés à Internet peut s’avérer préjudiciable sur le plan psychologique, estiment les spécialistes. « Ce comportement est à l’origine d’une pression permanente qui s’exerce sur les internautes.
Déçus par la réalité de leur vie, ils tentent de fuir pour se réfugier dans un univers virtuel qui disparaît dès qu’ils quittent le cybercafé.
Et lorsqu’ils reviennent à la réalité, ils affichent souvent une hostilité envers la société, se renferment sur eux-mêmes. A long terme, on risque d’avoir une société d’antipathiques », avertit Salah Yahi, psychologue.
« Il faut sensibiliser ces jeunes à faire face à la réalité telle qu’elle se présente, en s’armant de volonté et de courage. Une heure ou deux sur la Toile ne cause pas problème, mais ils doivent en même temps œuvrer à changer eux-mêmes leur destin.
La famille, l’entourage immédiat, la mosquée et les associations de la société civile ont un rôle important à jouer pour parer à une situation dramatique », ajoute notre interlocuteur.
 

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