Bizarre le troll, drôle de nom même ! Les jeunes d’aujourd’hui et même les plus vieux, qui ne se sont jamais intéressés à la mythologie nordique, ne penseraient pas d’abord aux bergtroll, ces monstres vivant dans des montagnes ou des buttes, quelque part dans la péninsule scandinave. Des géants qui incarnent les forces naturelles, à l’image des Titans dans la mythologie grecque. Avec la christianisation de la Scandinavie, l’Eglise, qui récusait leur identification aux forces naturelles évoquant les pouvoirs du Divin, a réduit leur taille pour les rendre semblable aux lutins français ou aux Korrigans britanniques, ces sympathiques farfadets. Jeunes et moins jeunes, qui ont lu les livres ou vu les films « Le Seigneur des anneaux » de J.R.R. Tolkien ou « Harry Potter à l’école des sorciers » de J. K. Rowlings, visualiseraient mieux les trolls. De la mythologie à l’Internet et, chemin faisant, sur les forums sociaux, le troll a pris une autre tournure de sens et une nouvelle dimension de vie. En argot Internet, un troll est quelqu’un qui participe à un chat banal ou une discussion plus élaborée. Le but est de susciter ou nourrir artificiellement une polémique, et plus généralement de perturber l’équilibre et l’harmonie de la communauté concernée. Cet individu est un trolleur et son activité, souvent malveillante, est appelée trollage. A ne pas confondre toujours avec le « tqar3îdj », algérianisme linguistique qualifiant, y compris sur les forums sociaux, l’art individuel ou collectif de se payer la tête de quelqu’un, de casser amicalement un peu de sucre sur le dos de la bête. L’adepte du « tqar3îdj » est d’avantage à rapprocher du private joke britannique, partisan de la moquerie fraternelle. Passé donc dans le monde de la virtualité numérique, le mot troll s’applique souvent à un message dont le caractère est à même de provoquer des polémiques stériles, car souvent provocateur. Splendeurs et misères de la Toile qui se veut Net quand même ! Le terme est toutefois à distinguer du Fläming qui consiste en l’envoi de messages délibérément hostiles et insultant, avec l’intention de créer un conflit parfois violent. On distingue donc le troll malin et le troll bénin, et dans les deux cas il y a des trolleurs qui s’en sont fait une malicieuse ou une maligne spécialité. Il y a même des trolleurs compulsifs qui n’abandonnent jamais le sujet qui les obsède, quitte à provoquer des polémiques sans fin, fondées notamment sur des croyances personnelles, des professions de foi, des parti-pris et des à-priori en acier trempé.
Dans le trolling, tout y passe : injures, sarcasmes, procès d’intention, délation, bluff, diffamation, antisémitisme, anti-islamisme, racisme de toutes les couleurs, misogynie, menaces, blasphèmes, haine, vitupération, invective, et la liste est longue. Certains trolleurs font du trolling obsessionnel et c’est en pensant à eux que Facebook, par exemple, a donné aux plus d’un milliard de ses abonnés la possibilité de zapper les « amis » de ce type grâce à sa souris optique. Le trolleur passe ainsi à la trappe quand il ne passe pas, comme c’est désormais le cas en Grande-Bretagne, devant la justice de Sa Gracieuse Majesté. L’omniprésence des réseaux sociaux et la formidable caisse de résonance qu’ils forment pour les propos de tous, à propos de tout et de tous, posent problème Outre-manche. Blagues douteuses, galéjades lourdes, propos grossiers, insultes : la multiplication au Royaume-Uni des procès de trolls suscite les critiques des défenseurs de la liberté d’expression et plonge le parquet dans l’embarras. Progressivement, des cas de trollage abusifs sont condamnés et des cas de jurisprudence sont ainsi crées.
Début octobre 2012, un internaute de 19 ans, Matthew Woods, a écopé de six semaines de prison pour avoir posté sur Facebook des farces de mauvais goût au sujet d’une fillette disparue. Peu de temps auparavant, un autre jeune homme du même âge, Azhar Ahmed, avait été condamné à des travaux d’intérêt général pour avoir écrit sur Facebook « Tous les soldats doivent mourir et aller en enfer ». Dans les procès de trolls abusifs, les juges se basent sur des lois antérieures au lancement de Twitter en 2006. Ils citent notamment un texte de 2003 interdisant « d’envoyer à quelqu’un un article indécent, terriblement injurieux ou contenant une menace ». Le jugement de trolls a cependant des effets induits inattendus. Ainsi de Paul Chambers, cadre financier, devenu le symbole au Royaume-Uni de la liberté d’expression sur le Web.
Un twitt lui vaut en 2010 d’être condamné au pénal à une amende de 1 250 euros : « Merde. L’aéroport Robin Hood est fermé. Vous avez une semaine et quelque pour régler ce bordel, sinon je fais péter l’aéroport! » La menace est alors perçue comme terroriste. Le jeune twitto, qui a envoyé ce twitt (tweet) de peur de manquer un vol, fait appel de sa condamnation, expliquant qu’il s’agissait d’une blague, et obtient en juillet dernier son annulation.Une décision qui fait date. Les juges ont estimé « que les gens avaient le droit d’être hyperboliques, insultants et peut-être injurieux sur Internet. Cela ne doit pas en soi constituer un délit ». Ces exemples britanniques sont légion et peuvent inspirer ailleurs d’autres juges. Et s’il fallait un petit guide du savoir juger pour les juges, il faudrait aussi, pour que les internautes aient plus de jugeote et apprennent à ne pas méjuger autrui et à troller sans nuire, bref à être moins infâmes, établir à leur intention un guide des bonnes manières. En quelque sorte, un code de déontologie qui permet de donner aux « J’aime » et aux commentaires sur Facebook, par exemple, un caractère encore plus policé, qui éviterait à la police d’intervenir et à la justice de sévir. La politesse ne coûte rien, et achète tout, selon le proverbe tunisien. « Il ne faut jamais hasarder la plaisanterie qu’avec des gens polis ou qui ont de l’esprit », a recommandé, il y a longtemps, Jean de la Bruyère. Excellente recommandation pour facebookers, twittos et twittas tentés par le troll.