C’est un effet de mode qui a envahi la société algérienne depuis l’avènement et la généralisation de la téléphonie mobile. Les jeunes algériens sont souvent « collés » à leurs écouteurs ou casques écoutant de la musique à longueur de journée. Dans les places publics, les moyens de transports, à l’école, à l’université et même… à la maison, ils ne lâchent ces accessoires que tard dans la nuit
Exposés à une pollution sonore des plus exacerbées, ces jeunes, accrocs des TIC, risquent de porter un lourd préjudice à leurs appareils auditifs, allant jusqu’à la surdité. Toutefois, leur inconscience les pousse à exagérer dans l’utilisation des moyens censés être sollicités que lorsqu’ils sentent le besoin d’une distraction momentanée. Pour eux, il s’agit, d’une part, de « tirer profit du développement technologique » et, d’autre part, de « s’éloigner ou plus tôt tourner le dos à une société pleine de problèmes ». Ils ne semblent guère préoccupés par les effets néfastes de ces écouteurs à moyen et à long termes. « Il n’y a aucun danger à utiliser les écouteurs. Il suffit uniquement d’acheter de la bonne qualité qui permet de s’amuser pleinement en écoutant notre musique préférée. S’il n’y avait pas ces outils de divertissement, on se serait tous suicidé en raison des multiples casse-têtes dans notre société », justifie un groupe d’étudiants croisés à la sortie de la Faculté centrale d’Alger. « On ne peut pas se passer de la musique. On en est devenus accrocs. On préfère cela que de rester spectateurs de ce qui se passe quotidiennement, c’est en fait une manière de nous mettre à l’abri des soucis », insistent nos interlocuteurs. Des lecteurs de musique MP3 ou MP4, ou plutôt branchés directement aux téléphones portables, ces jeunes se baladent en donnant l’impression de danser en permanence. Le plus étonnant, c’est qu’ils ne trouvent aucun désagrément à lire ou accomplir des travaux d’ordre intellectuel ou manuel tout en écoutant de la musique. Nos jeunes sont-ils dotés d’une force extrême leur permettant de faire face à cette énorme charge ? Jusqu’où peuvent-ils tenir ? Consacrent-ils suffisamment de temps à se reposer de ce bruit incessant ? Ce sont autant de questions qui viennent à l’esprit en observant ce phénomène qui ne cesse de prendre de l’ampleur et ces outils qui attirent chaque jour de nouveaux adeptes. « Nous avons pris l’habitude de tout faire avec la musique. Par exemple, on ne reste jamais dans un cybercafé qui ne dispose pas de casques. Quand on fait nos devoirs ou recherches, il faut que cela soit accompagné par de la musique, c’est une condition indispensable… », avoue autre un groupe de jeunes rencontré dans un café Internet à la rue Hassiba Ben Bouali (Alger). Le gérant du cybercafé va encore plus loin. « Lorsque la connexion est trop faible, presque personne ne se plaint, mais lorsqu’il y a des défauts dans les casques, je fais face à une colère indescriptible de la part des jeunes qui n’hésitent pas un instant à quitter les lieux. C’est pour cela d’ailleurs que je tiens toujours à disposer d’une bonne quantité de ces outils. Je me demande comment ces jeunes parviennent à assimiler leurs recherches, tout en s’exposant à la musique ! », affirme-t-il, sur un ton de stupéfaction.
La mode n’épargne pas les enfants
L’utilisation excessive des écouteurs n’est pas l’apanage des adolescents, mais même les petits écoliers sont de plus en plus attirés par cette attitude dévastatrice de leur appareil auditif. On les voit le plus souvent « plongés » dans de longues somnolences en écoutant de la musique, sans que leurs parents prêtent attention ou les conseillent à abandonner ce comportement préjudiciable. Pour certains, et c’est l’argument avancé le plus souvent, il s’agit d’un outil de divertissement et il est préférable à aller se balader dans les rues ou être en compagnie de personnes qui pourraient porter atteinte à l’intégrité physique ou moral des bambins. Les deux types d’écouteurs sont en effet très prisés par ces enfants qui s’attachent toutefois aux appareils dits sédentaires, c’est-à-dire les casques branchés à des téléphones mobiles ou à des lecteurs MP3 ou MP4. D’autres bambins s’attachent, quant à eux, au type d’écouteurs « nomades », placés directement dans les oreilles. Il faut dire que les campagnes de sensibilisation font cruellement défaut concernant les effets néfastes de cette attitude, mais rien ne peut justifier l’indifférence des parents. Des enseignants affirment avoir attiré, à maintes reprises, l’attention des parents d’élèves, sans que ces derniers osent intervenir pour mettre leur progéniture à l’abri d’un péril certain. « La plupart des parents affirment que ces écouteurs servent de masque aux bruits extérieurs, ce sont donc des moyens de protection. Quand on leur explique qu’il faudrait surtout diminuer le volume de la musique et ne pas en écouter à longueur de journée, ils répliquent que les enfants œuvrent droit à la distraction. On n’est pas du tout sur la même longueur d’ondes », déplorent des instituteurs interrogés sur le sujet.
Les spécialistes tirent la sonnette d’alarme !
L’exposition prolongée des oreilles à l’écoute discontinue de la musique représente une menace réelle pour l’ouïe. Cela concerne aussi bien l’usage des écouteurs intra-auriculaires (écouteurs) que les écouteurs extra-auriculaires (casques). « Cette mauvaise habitude abîme les oreilles et détruit entièrement le sens de l’ouïe. Il faut que les gens sachent que le capital auditif ne se régénère pas en cas de lésions de l’appareil auditif. Le risque le plus apparent est la destruction de la cage intérieure de l’oreille ou perforer le tympan, ce qui cause une grave diminution de l’audition », explique le Dr Hamid Maouche, spécialiste en ORL. « J’ai remarqué que le nombre de consultations augmente sans cesse et les concernés viennent souvent quand la destruction de leur appareil auditif a atteint un niveau de gravité extrême. Si on continue comme ça, on risque d’avoir une société de sourds dans les vingt prochaines années », prédit notre interlocuteur. L’atteinte de l’ouïe est perceptible à travers certains symptômes à commencer par des douleurs intenses (otalgie), des bourdonnements et puis l’intéressé ressent des maux de tête, suivis d’anxiété et de perte de concentration, explique le spécialiste. La pollution sonore peut causer la surdité sans que le concerné en comprenne les causes, car il ne s’est jamais posé la question sur les effets d’une attitude ayant accompagné l’attachement des Algériens aux TIC. Le recours aux prothèses auditives devient donc inévitable pour des milliers de jeunes Algériens. Ayant compris l’ampleur des dégâts occasionnés par les écouteurs, un grand nombre de praticiens ont procédé à l’ouverture de cabinets de correction auditive ces derniers mois. Du boulevard Didouche Mourad à la rue Hassiba Ben Bouali, il y a au moins une dizaine de cabinets qui ont vu le jour. « Nous sommes là pour répondre à une demande de plus en plus importante en matière de ces appareils devenus indispensables. Ce qui m’étonne, c’est le nombre de personnes âgées entre 30 et 45 ans dont le sens de l’ouïe est trop diminué. Il y a quelques années, cette situation ne concernait que les personnes ayant dépassé la soixantaine », affirme une secrétaire dans un cabinet de correction auditive. L’utilisation exagérée des écouteurs ne semble pas attirer l’attention des organisations de la société civile, ni même les chercheurs. Pourtant, le danger est apparent et risque de s’intensifier dans les prochaines années, entraînant un grand nombre de sourds en Algérie. « Il viendra le temps où ces jeunes seront contraints de porter des écouteurs à longueur d’années, sans se permettre d’écouter de la musique », ironise un enseignant, allusion faite aux appareils auditifs. Le danger est là. Une démarche préventive s’impose afin d’éviter des conséquences désastreuses…