Les cybercafés, du moins ceux qui sont encore en activité, sont devenus, ces dernières années, des lieux privilégiés par les enfants, avec tout ce que cela implique comme répercussions dévastatrices sur cette frange « fragile » de la société algérienne.
En dépit de l’existence d’une loi qui détermine les conditions d’accès de ces mineurs à l’utilisation du Web, les propriétaires des cafés Internet semblent tourner le dos à ce dispositif juridique et laissent les concernés surfer librement sur la Toile, tant leur objectif majeur étant de réaliser le maximum de gain possible. Pis, certains gérants de ces espaces affirment ignorer totalement l’existence d’une telle loi et insistent sur le fait que le Web devrait être mis à la disposition de tous les citoyens sans exception aucune. « C’est vrai qu’un nombre important viennent ici et y passent de longues heures, mais je crois que la plupart d’entre eux utilisent Internet pour résoudre des exercices ou réaliser des petits travaux de recherche. D’autres viennent pour visionner des matches de football ou télécharger la musique », affirme un gérant d’un cybercafé à la rue Hassiba Ben Bouali (Alger-centre). Pour lui, la loi interdisant l’accès de ces gamins aux cybers n’est « que des paroles et il n’y a aucun contrôle des services de sécurité comme cela a été annoncé en fanfare en 2009 ». Le même avis est partagé par la plupart des gérants de cybercafés interrogés sur cette question sensible. « Il est vrai qu’il existe une charte pour la protection des mineurs des dangers d’Internet et il y a même une loi adoptée à cet effet. Mais le principal élément et responsable sont les parents qui doivent veiller au contrôle de leurs enfants. Nous sommes des prestataires de services et si on chasse les enfants, notre chiffre d’affaires prendra un coup dur et nous serons même contraints de baisser rideau », soulignent nos interlocuteurs à l’unanimité. C’est dire que ces commerçants sont seulement préoccupés par la rente, affichant une indifférence totale concernant leur responsabilité de protection de l’enfance des conséquences préjudiciables d’Internet. Ils laissent des gamins âgés de 12 ans, voire moins dans certaines situations, se connecter à des sites au contenu adulte ou à des vidéos d’actes de violence sans daigner, au moins, les conseiller sur les dangers qu’implique une telle attitude. « Nous ne pouvons pas surveiller tout le monde, que chacun assume ses responsabilités », disent-ils froidement. Il y a même des gamins qui restent dans les cybercafés jusqu’à des heures tardives de la soirée et sortent généralement avec des vidéos pornographiques ou un contenu violent qu’ils copient sur leurs téléphones portables. De tels comportements font de ces mineurs des êtres déséquilibrés psychologiquement, surtout qu’à cet âge-là, ils sont fragiles et s’exposent ainsi à toutes les dérives.
Une loi mise au frigo !
En 2009, le gouvernement a adopté une loi visant à prévenir les mineurs des dangers du web et des correspondances ont été adressées à l’ensemble des gérants des cyberespaces stipulant l’interdiction d’accès aux enfants sous menace de punition contre ceux qui n’appliqueraient ce dispositif juridique. Il s’agit de la loi n° 09-04 du 5 août 2009 portant règles particulières relatives à la prévention et à la lutte contre les infractions liées aux technologies de l’information et de la communication. Des patrouilles des services de sécurité étaient même chargées de faire des inspections inopinées au niveau des cybercafés pour s’assurer de la mise en œuvre de cette loi et imposer des pénalités contre les « fraudeurs ». La loi en question a été adoptée dans le cadre du projet de lutte contre la cybercriminalité et l’exploitation des mineurs à travers la Toile. Au début, les gérants des cybercafés avaient tous collé des affiches indiquant qu’il était interdit à toute personne de moins de 18 ans d’accéder, mais quelques mois plus tard ces affiches ont disparu et l’accès aux cybers est devenu sans limite. Il faut dire que la défaillance du système de contrôle a laissé libre cours à ces derniers d’agir en maîtres des lieux, laissant ainsi des enfants exposés à toutes les menaces. L’inattention des parents a aussi une importante part de responsabilité dans cette situation des plus préjudiciables. Ces derniers ne se soucient guère de contrôler l’utilisation d’internet par leurs enfants, malgré les différentes campagnes de sensibilisation organisées essentiellement par la Fondation pour la promotion de la recherche médicale (Forem) et d’autres associations à cet effet. Même le logiciel de contrôle parental « optenet webfilter PC » téléchargeable pourtant gratuitement ne suscite pas l’intérêt de ces responsables de familles, censés être les premiers protecteurs de leur progéniture. Vulgarisée lors du salon des TIC, en 2010, seulement 32 000 téléchargements ont été effectués. « Un père de famille a beaucoup de tâches à accomplir et lorsqu’il rentre à la maison il a à peine le temps de se reposer. Si on s’attèle au contrôle d’Internet, on sera étouffés », affirment certains pères interrogés.
Les enseignants en souffrent !
En raison de leur addiction à Internet, un grand nombre d’élèves affichent peu d’engouement pour leur scolarité et adoptent même des comportements violents, arrivant même à mépriser leurs enseignants. Ces mineurs passent, en effet, une grande partie de leurs journées à visionner ou à échanger des vidéos, de la musique ou des séquences de matches de football, reléguant leurs études au second plan. Même dans les classes, ils sont souvent « déconnectés » et n’attendent que la fin de la séance pour revoir encore ce qu’ils ont « récolté » du web. Les enseignants éprouvent toutes les peines du monde pour garantir la sérénité dans les classes et accomplir convenablement leur mission. « Ce n’est qu’en rentrant en classes que les élèves ôtent leurs casques ou écouteurs. Ils sont totalement déconcentrés et se rappellent rarement du cours précédant. Lorsque je leur donne des exercices ou des recherches à faire chez eux, soit ils viennent bredouille ou bien avec des copies conformes prises directement d’internet. Sincèrement, notre métier est devenu insupportable ces derniers temps en raison de la cyberdépendance dont sont victimes ces élèves », se désole Saïd, un professeur d’anglais dans un CEM à Barraki. « Ils se comportent violemment et n’accordent aucune considération aux enseignants. Ils nous taxent même de démodés lorsqu’on refuse les travaux de recherche copiés intégralement du web. Nous avons beau convoquer leurs parents, mais rien n’a changé », intervient, Tahar, enseignant, quant à lui, d’histoire dans un lycée à Garidi (Kouba). Et ce n’est pas tout ! « Ce qui est encore désolant, ce sont ces vidéos pornographiques qui circulent entre les élèves. Nous craignons qu’ils deviennent des dépravés avant d’atteindre l’âge adulte. Il faut que les parents interviennent énergiquement avant que ce ne soit trop tard. Ces enfants sont en dangers permanents et ils ont besoin d’être protégés », insistent nos deux interlocuteurs.
Un « désastre » psychologique
L’exposition des mineurs et adolescents aux sites pornographiques et de violence fait d’eux des êtres frustrés et agressifs. « S’ils ne peuvent pas agir actuellement en raison de leur faiblesse physique ou par respect à leur entourage, ils feront exploser toutes ces frustrations dès qu’ils atteignent l’âge adulte. La cyberdépendance leur cause un déséquilibre flagrant dans la constitution de leur personnalité, car ils vivent réellement dans un monde et virtuellement dans un autre univers totalement différent », explique Dahmane Aggoune, psychologue clinicien. Pour lui, les bagarres quotidiennes qui se déclarent entre les élèves pour des raisons banales sont dues principalement aux frustrations dont ils souffrent et constituent, en fait, l’expression d’une « violence cumulée pendant plusieurs jours surtout qu’ils sont dans un âge où ils tiennent à prouver leur valeur, appelée scientifiquement la confirmation de soi ». Les parents et l’entourage immédiat des mineurs jouent un grand rôle dans la prévention et l’orientation, car l’enfant, souligne notre interlocuteur, a besoin d’être guidé dans sa vie et a aussi besoin d’exemples à suivre. « Lorsqu’un père de famille préfère regarder la télévision ou sortir discuter avec ses amis au lieu de communiquer avec ses enfants, on doit s’attendre à ce que ces gamins s’exposent à toute sorte de menaces. La première responsabilité incombe aux parents », insiste-t-il. Selon lui, la société algérienne risque de connaître un nombre important d’ « aliénés », si cette situation perdure. L’alerte est lancée.