19 mars 2025

La gouvernance des entreprises à travers le cas de l’ARPT: Redéfinir les rapports des uns et des aures…

Par Nabil Menasria *
De nouveaux principes et normes en matière de gouvernement d’entreprise (GE) ont été mis en place par des organismes d’envergure internationale (OCDE) et mondiale (BM). Ces derniers peuvent être utilisés à la fois par des pays développés et en développement, après avoir subi bien évidemment certaines modifications en fonction des spécificités des industries et des pays. L’objet de ma communication est de jeter la lumière sur cet aspect en spécifiant le secteur des télécommunications en Algérie et le rôle de l’ARPT et comment cette dernière peut influer sur le gouvernement d’entreprise dans le secteur des télécommunications en Algérie. Dans cet ordre d’idées, nous allons commencer par une description des aspects théoriques en relation avec la gouvernance d’entreprise d’une manière générale, pour ensuite mettre l’accent spécifiquement sur le secteur des télécommunications. Enfin, nous allons essayer d’appréhender les différentes facettes de la gouvernance de l’ARPT et comment cette dernière peut influer sur la dynamique du secteur des télécommunications en Algérie
Nous commencerons par une description des aspects théoriques en relation avec la gouvernance d’entreprise d’une manière générale. Ensuite nous mettrons l’accent spécifiquement sur le secteur des télécommunications. Enfin, nous tenterons d’appréhender les différentes facettes de la gouvernance de l’ARPT et comment cette dernière peut influer sur la dynamique du secteur des télécommunications en Algérie. Le début de l’ère capitaliste fut marqué par une structure d’entreprises ou la propriété et la gestion étaient concentrées entre les mains d’une seule personne (le propriétaire). A cette époque là, le souci de développer des mécanismes de contrôle des managers n’était pas du tout à l’ordre du jour. Le développement économique qui est apparu par la suite a fait émerger de grandes entreprises où la gestion ne pouvait être assurée par leurs propriétaires. Par conséquent, le propriétaire qui ne pouvait assurer la fonction de gestion par motif d’incompétence ou d’incapacité commence à déléguer certaines tâches -de gestion- à d’autres personnes « managers » ; c’est l’ère de l’entreprise managériale. La séparation entre la propriété et la gestion est à l’origine de la naissance des conflits d’intérêts entre le propriétaire et le manger.
Ces conflits seront à l’origine de la naissance puis du développement d’un certain nombre de mécanismes et de principes en relation avec la bonne gestion des entreprises. Ces derniers font l’objet d’un corpus théorique traitant du gouvernement de l’entreprise.
Dans les temps modernes et suite aux scandales sans précédent ayant ébranlé de grands groupes industriels aux Etats-Unis et en Europe particulièrement et, suite aux dommages qu’ils font subir à l’économie toute entière, les autorités politiques et économiques, les chefs d’entreprises ainsi que certaines organisations se sont rendus compte que les mécanismes de contrôle et les principes mis en place jusque-là étaient insuffisants pour déceler des comportements de mauvaise gestion et restreindre le pouvoir discrétionnaire des dirigeants. Il s’agit donc de développer d’autres mécanismes et d’améliorer ceux qui existent afin d’éliminer au du moins réduire des comportements abusifs de la part des dirigeants.
La théorie de la gouvernance comme l’ont soulignée (C. Charle, M. Kogge 2003) n’a pas pour objet d’étudier la façon dont les dirigeants gouvernent mais la façon dont ils sont gouvernés. Cela démontre l’importance que revêt, pour l’entreprise et pour le système économique tout entier, la bonne conduite des dirigeants de l’entreprise. En tenant compte de l’importance du rôle du dirigeant au sein de l’entreprise, la gouvernance de l’entreprise est, d’une manière globale, définie comme étant l’ensemble des mécanismes qui ont pour objectif la délimitation du pouvoir des dirigeants et d’influer sur leurs décisions.
La vague des réformes en Algérie
Les réformes entreprises en l’an 2000 étaient dictées par la nécessité d’adapter le secteur des télécommunications en Algérie au rythme de la cadence des évolutions mondiales. La tendance croissante vers une économie mondialisée, où les NTIC constituent le cheval de bataille et l’assise de la compétitivité des économies, appelle plus que jamais les pays du globe à développer leurs secteurs des NTIC dont les télécommunications constituent un élément essentiel. Les réformes entreprises en Algérie afin de mettre à niveau son secteur et s’intégrer harmonieusement dans ce nouvel « espace-temps », un « cybermonde » où durée et distance sont contractées avec la modification fondamentale des règles politiques, économiques et industrielles qui en découlent. Par ailleurs, l’entrée en vigueur de l’accord d’association avec l’Union européenne ainsi que l’adhésion prochaine à l’Organisation mondiale du Commerce (OMC) sont autant d’éléments qui ont urgé l’Algérie à entreprendre des réformes sérieuses de son secteur des télécommunications. Les réformes ont pour objectif de rattraper le retard des années précédentes et de créer un environnement favorable, en termes de communication pour le développement de l’économie de marché dans le pays16. Les assises de cette dernière s’articulent sur un nouveau cadre réglementaire (la loi n°03-2000 du 05 août 2000) dont est issue une nouvelle structure institutionnelle (l’ARPT).
Le cadre réglementaire
Le cadre réglementaire régissant le secteur des télécommunications est consacré dans la loi n° 03-2000 du 05 août 2000 relative à la poste et aux télécommunications. Cette dernière a pour objectif :
– le développement et la fourniture des services de la poste et de télécommunications de qualité, assurées dans des conditions transparentes et objectives ;
– la définition des conditions générales d’exploitation des domaines de la poste et des télécommunications ;
– création des conditions de développement séparé des activités de la poste et des télécommunications ;
– la définition d’un cadre institutionnel d’une autorité de régulation autonome et indépendante. Ce point est considéré comme étant original et important dans le cadre de l’ouverture du marché des télécommunications. En effet, un tel organisme est un préalable à la réussite de la libéralisation du marché.
Par ailleurs, la loi n° 03-2000 fournit un cadre global qui régit le fonctionnement du secteur dans sa globalité, il ne tient pas compte des divers détails relatifs à l’activité des acteurs du marché. Dans cette perspective, ladite loi est complétée, au cours de temps, par différents instruments réglementaires ayant pour objet le traitement des différentes questions découlant de l’exploitation courante. Les décrets, circulaires, etc. sont mis en place continuellement afin de traiter de ces divers détails. En raisonnant en termes économiques, la loi n° 03-2000 est considérée comme étant un cadre qui sous-tend l’activité du secteur des télécommunications au niveau marco, alors que les autres instruments régissent le secteur au niveau de ces aspects micro. Il apparaît clairement que la libéralisation du marché est un préalable pour mettre en place des bases solides qui permettent l’émergence et le développement d’une concurrence viable. Afin de sortir graduellement du régime du monopole vers celui d’un marché concurrentiel, et conformément aux termes de la déclaration de la politique sectorielle du gouvernement, l’ouverture du marché par l’établissement et/ou l’exploitation des réseaux publics ou installation des télécommunications peut prendre la forme de la licence, de l’autorisation ou de la simple déclaration. L’un des grands axes de la réforme du secteur des télécommunications en Algérie, est la création de l’agence de régulation des activités de la poste et des télécommunications. La loi n°03-2000 dans son article 13 stipule pour la création d’une agence de régulation dénommée (Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications ou ARPT). La mission de cette dernière est de veiller à la mise en place des conditions favorables pour l’émergence et le développement d’une concurrence viable sur le marché de la poste et des télécommunications. Cela passe, entre autres, par :
– la sélection des candidats pour l’exploitation des licences des télécommunications ;
– la veille à la mise en place, dans le respect des droits de propriété, les bonnes conditions d’interconnexion ;
– l’arbitrage des litiges qui opposent les opérateurs entre eux et avec les utilisateurs.
La création de l’ARPT est la conséquence directe de la réforme du secteur des télécommunications en Algérie. Cette dernière a vu le jour suite à la séparation des fonctions d’exploitation, de formulation des politiques sectorielles et de régulation qui étaient concentrées au niveau du Ministère de la Poste et des Nouvelles technologies de l’information (MPTIC). Après cette réforme, le ministère n’a gardé de prérogatives que sur la fonction de formulation des politiques relatives au secteur. Pour ce qui est de l’exploitation, qui relevait jadis des prérogatives du ministère, elle est transférée à un établissement public à caractère industriel et commercial pour la poste (Algérie Poste) et à un opérateur des télécommunications (Algérie Télécom). L’exploitation est ouverte aux intérêts privés ce qui a donné lieu à l’entrée sur le marché de deux entreprises exploitant le segment de la téléphonie mobile et la téléphonie fixe, la fourniture des services Internet, etc. pour d’autres entreprises. La fonction de régulation, quant à elle, est confiée à une autorité de régulation nommée Autorité de Régulation de la Poste et des Télécommunications (ARPT). En effet, la création de cette autorité est consacrée dans la loi n°2000-03 comme les autres aspects du marché où il est disposé au niveau de son article 10 la création d’une autorité de régulation indépendante dotée d’une personnalité morale et d’une autonomie financière.
Les missions de l’ARPT, méthodes et moyens
Globalement, les missions d’une autorité de régulation dans le secteur des télécommunications sont de permettre le passage d’un marché monopolistique à un marché concurrentiel « viable » et « loyal ». Cependant et plus spécifiquement, les missions d’une autorité de régulation sont diverses et variées selon la diversité des éléments relatifs au marché des télécommunications. Pour ce qui est de l’ARPT, ces missions s’inscrivent en droite ligne dans une politique publique d’ensemble de développement du secteur de la poste et des télécommunications en favorisant l’arrivée de nouveaux acteurs sur le marché qui développeront de nouveaux services qui sont à même de concurrencer ceux offerts sur les marchés internationaux. Les missions sont définies dans le cadre de la loi 2000-03 notamment son article 13 qui sont19 :
-de veiller à l’existence d’une concurrence effective et loyale sur les marchés postal et des télécommunications en prenant toutes mesures nécessaires afin de promouvoir ou de rétablir la concurrence sur ces marchés ;
– de veiller à fournir dans le respect du droit de propriété, le partage d’infrastructures de télécommunications ;
– de planifier, de gérer, d’assigner et de contrôler l’utilisation des fréquences dans les bandes qui lui sont attribuées dans l’esprit de principe de non discrimination ;
– d’établir un plan de numérotation, d’examiner les demandes de numéros et de les attribuer aux opérateurs ;
– d’approuver les offres de références d’interconnexion ;
– d’octroyer les autorisations d’exploitation, d’agréer les équipements de la poste et des télécommunications et de préciser les spécifications et normes auxquelles ils doivent répondre ;
– de se prononcer sur les litiges en matière d’interconnexion ;
– d’arbitrer les litiges qui opposent les opérateurs entre eux ou avec les utilisateurs ;
– de recueillir auprès des opérateurs les renseignements nécessaires à l’accomplissement des missions qui lui sont assignées ;
– de coopérer dans le cadre de ces missions, avec d’autres autorités ou organismes tant nationaux qu’étrangers ayant le même objectif ;
– de produire les rapports et statistiques publiques ainsi qu’un rapport d’activité annuel comportant la description de ces activités
Aussi, les missions de cette dernière se déclinent en deux types : des misions partagées avec le MPTIC et des missions qui relèvent de ces propres prérogatives. Pour ce qui est des missions partagées avec le ministère, elles ont trait à l’élaboration des cadres réglementaires sur lesquels prend appui l’activité du secteur des télécommunications alors que les missions qui relèvent de ces propres prérogatives portent sur l’activité courante du marché.
En outre, d’autres missions concernant les autres aspects de l’activité courante des opérateurs- ainsi que d’autres pouvoirs sont conférés à l’ARPT soit lors de l’élaboration des cahiers de charges soit par la promulgation des décrets exécutifs par exemple. Plus clairement, la nécessité de soumettre les conventions d’interconnexion à l’ARPT ou l’encadrement des tarifs et des règles applicables en matière de gestion du spectre des fréquences relèvent de ces pouvoirs et de ces missions conférés à l’ARPT par des cadres autres que celui de la loi 2000-03.
Les moyens et méthodes
Les missions évoquées plus haut requièrent d’évidence des moyens humains avec des compétences pluridisciplinaires, des moyens matériels pour les aspects à caractère technique ainsi que des méthodes qui consistent à diagnostiquer le problème pour lui trouver une issue tout en tenant compte, bien évidemment, des moyens et des ressources disponibles.
Dans sa mission de régulation stratégique qui consiste à veiller à la concurrence sur les marchés de la poste et des télécommunications, l’ARPT procède d’abord à l’identification des services et la surveillance du marché pour ensuite traiter des plaintes et litiges survenant entre les opérateurs20. Le processus d’octroi de licences, qui relève d’une mission partagée avec le Ministère des télécommunications, consiste en la surveillance du marché en question et en des expertises à caractère économique et financier. D’autres activités fonctionnelles ont trait, entre autres, à la gestion, l’assignation et le contrôle des fréquences, l’attribution des numéros aux opérateurs et aux prestataires, l’octroi des autorisations d’exploitation, l’agrément des équipements, etc. Les méthodes et moyens dont use l’ARPT pour traiter de ces différents éléments consistent en une organisation administrative, en une mise en place d’un système d’information, en différentes expertises (techniques, économiques et financières), l’utilisation des équipements de contrôle ainsi que l’analyse des plaintes et litiges. L’approbation des catalogues d’interconnexion et des conventions d’interconnexion ainsi que l’encadrement des tarifs des opérateurs dominants, le traitement et arbitrage des litiges d’interconnexion ont nécessité et nécessitent d’une manière générale : une expertise financière et comptable, l’étude et l’analyse des données au niveau international veille internationale- ainsi que l’analyse des différents aspects juridiques relatifs à l’élément traité.
L’APRT et la question de la bonne gouvernance
Etant donné que l’ARPT veille sur la viabilité de la concurrence sur le marché de la poste et des télécommunications, cela fait revêtir une importance cruciale à la question de son statut, de sa gestion, des rapports de pouvoir, de la rémunération des dirigeants, des mécanismes de contrôle, etc. D’une manière plus claire, la mise en place des principes de la bonne gouvernance au niveau de cette dernière ne constitue pas seulement un facteur de sa viabilité mais aussi de la viabilité et de la pérennité du marché. Nous allons examiner dans ce qui suit certains éléments en relation avec la bonne gouvernance au sein de cet organisme.
Etant donné l’interférence des intérêts entre les opérateurs historiques dans le domaine des télécommunications et l’Etat en tant que possesseur de ces opérateurs, la séparation entre ces intérêts apparaît comme étant la clé de voûte de la réussite des réformes.
Autrement dit, c’est la séparation entre les intérêts de ces agents qui constitue la garantie d’impartialité de l’Etat. Cette impartialité constitue un bon signe à la faveur des investisseurs potentiels qui contribueront par conséquent au développement du marché. En effet, c’est le statut dit « sui generis » qui satisfait au principe de cette séparation. L’adoption de ce dernier apporte deux principales garanties :
– il constitue un gage d’impartialité ;
– il permet l’optimisation et la transparence de la gestion, la rapidité des procédures et l’adéquation des décisions.
Dans cette perspective, l’ARPT est dotée d’un statut « sui generis » car elle est indépendante et n’est rattachée à aucune structure juridique existante. L’ARPT, dans l’exercice de ces missions, serait appelée à prendre des décisions en défaveur de l’opérateur historique, ce qui n’est pas compatible avec les structures hiérarchiques existantes en Algérie. Son statut lui permet en effet -au regard de l’expérience internationale -d’intervenir dans les différentes questions de la régulation en toute indépendance, et elle ne fera l’objet d’aucune pression quelconque. A titre d’exemple, les saisines déposées auprès de l’ARPT contre l’opérateur historique par les autres opérateurs et prestataires de services ne peuvent être traitées d’une manière transparente et sans discrimination dans le cas où le statut sui generis n’est pas mis en place.
En effet, l’ARPT prend parfois des décisions qui vont à l’encontre de l’opérateur historique. La décision prise par l’ARPT au mois de juillet 2006 à l’encontre d’Algérie Télécoms qui consiste à mettre fin à l’offre promotionnelle suite à la saisine déposée par le Consortium Algérien des Télécommunications reflète l’indépendance de cette dernière de l’opérateur historique. En outre, une autre décision est celle relative à la multiplication des liens d’interconnexion par AT suite à une saisine déposée par OTA.Il est une évidence dans les temps actuels que la question de la gouvernance des entreprises, qui constitue une nouveauté, est de toute première importance pour un système économique sain et une croissance économique viable. Ses pratiques et ses éléments générateurs mobilisent les nouvelles théories des organisations. Par ailleurs, le phénomène de la mondialisation a été à l’origine de nombreuses restructurations industrielles. Pour les télécommunications, ce phénomène, par l’intermédiaire des progrès technologiques a été à l’origine de profondes restructurations qui ont remis ainsi en cause un certain nombre de concepts (monopole naturel).
Les réformes ayant touché ce secteur ont soulevé avec acuité la question de la bonne gouvernance des entreprises des télécommunications. Les sociétés dans lesquelles nous vivons sont plus marquées par les nouvelles technologies de l’information et de la communication (NTIC) conférant ainsi aux entreprises des télécommunications un poids économique assez conséquent ce qui rend leur bonne gestion l’une des premières nécessités. En Algérie, la réforme du secteur des télécommunications a fait émergé de nouveaux défis et enjeux dans le secteur des télécommunications.
L’investissement du marché par les nouveaux opérateurs et la séparation de la fonction de gestion et de régulation ont été les points marquants de cette réforme. Cette séparation a abouti, entre autres, à la création de l’ARPT afin de réguler les différents aspects du marché et, la question de la bonne gouvernance de cette dernière est d’une importance fondamentale. La confrontation de certains principes de la bonne gouvernance avec les pratiques de l’ARPT a mis en évidence le fait que cette dernière ne répond pas d’une manière satisfaisante à ces derniers.
Les éléments extérieurs sont aussi insuffisants pour assurer une application sincère et saine des mécanismes pour une bonne gestion de l’ARPT, ce qui influe négativement sur la stabilité et la pérennité du marché.
* Juriste
Université de Béjaïa
menasria1979@yahoo.fr

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