Réguler, c’est faciliter, c’est-à-dire faciliter la mise en place d’un marché concurrentiel et attractif.
Le développement spectaculaire de la téléphonie mobile dans le monde depuis le succès des équipements dits de deuxième génération (2G) a engendré un écosystème et l’un des marchés de consommation de masse les plus porteurs de la dernière décennie. Tout le monde a parlé alors de success-story car nul ne peut contester que les dynamiques de libéralisation des télécommunications et, donc, du marché, ont été au cœur d’importantes reconfigurations institutionnelles. En Algérie, il y a eu la loi 2000-03, plus connue sous le nom de loi des télécoms qui a mis en place une Autorité de régulation de la poste et des télécommunications (ARPT) pour insuffler une nouvelle dynamique permettant de créer un écosystème. Mais les dynamiques financières du marché sont restées assez peu développées du fait, sans doute, de la complexité du sujet. Il est indéniable que Saad Damma, directeur général de Mobilis, a enclenché un mouvement de réorganisation de l’offre de service en parlant de « rééquilibrage du marché » qui se nouerait sur de nouvelles bases dans le contexte futur de la 4G. Il a été suivi immédiatement par Josef Ged de Nedjma qui réaffirme que « la concurrence est à présent limitée par des problèmes structurels sérieux et par l’absence de mesures réglementaires appropriées ». «Rééquilibrer, précise-t-il, ce n’est pas prendre à l’un pour donner à l’autre. C’est mettre en place un environnement concurrentiel permettant à tous les opérateurs de créer de la valeur et de protéger la liberté des consommateurs de choisir librement leur opérateur, aujourd’hui comme demain, tout en gardant le même numéro », faisant allusion à la portabilité du numéro. En plein Ramadhan, la présidente de l’ARPT réplique en disant à travers l’APS que « l’évolution des parts de marché de la téléphonie mobile en Algérie est tributaire de l’investissement consenti et de l’amélioration de la qualité de service ». Le débat ne fait que commencer. Initiée aux Etats-Unis dès la première moitié du XXe siècle, notamment pour la répartition des fréquences radio, la régulation a en effet connu une extension croissante de ses domaines d’application vers la sécurité alimentaire, les médicaments, le transport, l’énergie et aussi les marchés financiers, créant de nouvelles formes de régulation des industries de réseau qui ont partout consisté en une logique de démonopolisation parfois appuyée sur la séparation entre gestion des infrastructures du réseau et offre de services sur le réseau. La nouvelle gouvernance dans le monde justifie les théories de l’agence comme solution institutionnelle, par des mécanismes compétitifs dans la définition des contrats, des ventes et dans la pérennisation de l’accès aux ressources publiques. Dans le cas de la téléphonie mobile, ce sera les fréquences. Selon Vogel, Levi-Faur et Jordana, la diffusion du modèle de régulation concurrentielle des marchés par des agences indépendantes s’est intensifiée au cours des quarante dernières années. En Europe, on est parti encore plus loin dans le domaine du fixe qui a consisté à permettre le développement d’offres de services de communication concurrents à ceux des opérateurs historiques sur le réseau de ces derniers tout en garantissant aux nouveaux entrants un libre accès à la boucle locale. Issues des découvertes de Maxwel, Hertz et Marconi à la fin du XIXe siècle, les télécommunications radios sont connues et exploitées depuis le début du XXe siècle. Cantonnées dans un premier temps à un usage militaire, elles ne sont développées à destination des usages civils qu’après la Seconde Guerre mondiale. La pénétration de la téléphonie mobile auprès du grand public, cependant, n’intervint véritablement que dans les années 1990 avec le développement de la téléphonie dite de 2e génération. De plus, dans le domaine de la téléphonie mobile, la complexité des négociations entre équipementiers pour parvenir à l’adoption d’un standard commun a souvent été soulignée par les observateurs. Il faut aller à Genève au sein de l’UIT pour voir les différences de conditions de production des innovations par exemple entre la 2G et la 3G posant la question du « qui contrôle l’agenda technologique ». La notion de réseau est étroitement liée à celle du marché car il n’y a pas de marché sans réseau. Il est important de rappeler cette tautologie pour mieux souligner la spécificité de cette économie et son rapport étroit avec la technologie. Si c’est le réseau qui fait le marché, du moins les conditions de sa possibilité, la question demeure de savoir ce qui fait le réseau. Malgré un important train législatif à travers la loi 2000-03 mais aussi des décrets, destinés à supprimer les monopoles publics, à mettre en place un système de régulation par agence, à ouvrir l’accès aux réseaux et aux abonnés dans le cadre du service universel, puis à favoriser le dégroupage de la boucle locale, la mise en concurrence des opérateurs mobiles, etc., les politiques nationales se sont caractérisées par une très grande différence d’intensité dans les efforts de mise en œuvre. Si cette dynamique de libéralisation est aujourd’hui largement connue et commentée, il faut noter que peu d’observateurs ont fait le lien entre les premiers objectifs qui consistent à connecter l’ensemble de la population et le développement des enjeux de structuration d’un marché de téléphonie mobile et la création d’une économie digitale. La 2G est en agonie, la 3G est prête à prendre son envol et aucun opérateur mobile ne veut rester sur le carreau. Tous voudront séduire le client car la 3G, c’est l’offre de nouveaux services : faire transiter par la téléphonie mobile autre chose que de la voix. La téléphonie mobile ayant été numérisée, elle est devenue, au moins théoriquement, compatible avec les autres produits de communication numérisés que sont la téléphonie fixe, l’audiovisuel et Internet. Et la 4G va encore plus loin : converger l’ensemble de ces produits sur un même réseau. Cette surenchère de norme fait en sorte que les régulateurs semblent courir derrière les normalisateurs pour anticiper les enjeux de régulation à venir souvent influencés par la politique des normes : licences, offres de référence?. Il est clair que les régulateurs n’ont pas la capacité de R&D pour agir sur le processus de normalisation. En revanche, ils ont de plus en plus besoin d’être partie prenante dans les processus de normalisation pour anticiper les répercussions sur la régulation, pour optimiser la sélection des candidats aux licences, pour expliciter les contextes économiques et sociaux dans lesquels devront se déployer les nouvelles normes. Il est donc essentiel pour eux de participer au travail qui s’opère dans les grandes arènes de normalisation comme les sessions de l’UIT, ne serait-ce qu’à titre d’information.