IT Mag : Considérez-vous que l’Algérie soit un pays « ACTAble » ?
M. Kader Arif : Ce sont les Etats qui décident souverainement de participer ou non à un accord international comme ACTA. En plus de l’Union européenne, onze Etats sont parties prenantes à ACTA. C’est notamment le cas des Etats-Unis, de l’Australie ou encore du Maroc.
En ce qui concerne l’Algérie, il semble en tout cas évident que le pays et ses habitants n’auraient rien eu à gagner en participant à ACTA. Concrètement, au cas où l’accord serait appliqué sous sa forme actuelle, les principaux bénéficiaires d’ACTA seraient les détenteurs des droits de propriété intellectuelle, qui bénéficieraient une protection excessivement étendue de leurs intérêts économiques.
En effet, alors qu’ACTA devait donner une réponse au problème de la contrefaçon, le contenu de l’accord va nettement au-delà, en accordant une place disproportionnée à la protection de la propriété intellectuelle. Ainsi, il est dangereux de considérer un médicament générique comme un produit contrefait pouvant être saisi, alors qu’il s’agit en fait d’un instrument permettant de mener une politique de santé publique. Dans un autre domaine, la vie privée des internautes pourrait être mise en danger, puisque les fournisseurs d’accès à Internet se verraient attribuer une trop grande responsabilité au niveau du contrôle des contenus circulant sur Internet et les citoyens eux-mêmes pourraient se voir contrôlés sur le contenu de leur Mp3 ou de leur ordinateur.
Comment concilier la protection de la création, de l’innovation, de la propriété intellectuelle en somme, avec le droit de l’accès à la connaissance; et le partage de celle-ci ?
La contrefaçon doit être combattue, mais certainement pas en recourant à des instruments juridiques extrêmement flous comme ACTA. De tels instruments ouvrent la porte à de véritables abus contre les libertés individuelles et les droits fondamentaux. Et cela sans même apporter de réponse crédible pour lutter contre la contrefaçon, puisque des pays la comme la Chine et l’Inde – pourtant directement concernés par la contrefaçon – ne participent pas au processus. La lutte contre la contrefaçon est un objectif légitime, mais il est indispensable de ne pas brader la protection des libertés individuelles et des droits fondamentaux au nom de la défense d’intérêts privés.
Que fallait-il ajouter ou alors retirer dans le document portant ACTA ?
Depuis le départ, le processus censé mener à l’entrée en vigueur d’ACTA a été dans le mauvais sens. Le caractère confidentiel des négociations, entamées dès 2007 par la Commission européenne, a empêché l’organisation d’un débat public pouvant contribuer à mettre en place un cadre légal équilibré pour lutter efficacement contre la contrefaçon tout en respectant les libertés individuelles et les droits fondamentaux.
Il est ainsi inacceptable que les députés européens, qui ont pourtant été élus démocratiquement par les citoyens européens pour les représenter, n’aient aucunement été associés aux négociations sur ACTA.
La mobilisation citoyenne massive contre ACTA le montre bien : la société civile aurait dû être consultée si l’on voulait aboutir à un texte équilibré et tenant compte des droits et des intérêts de toutes les parties en présence.