Si l’avènement de la téléphonie mobile en Algérie a permis certes de bouleverser profondément notre communication, il n’en demeure pas moins que les retombées négatives sont parfois regrettables sur le plan des relations sociales. Et la faute n’incombe bien évidemment pas à la téléphonie mobile en tant que moyen de communication mais plutôt à l’option des appels anonymes. Une technique à laquelle opte une certaine catégorie de citoyens « malveillants ». L’appel masqué devient une source de vrais problèmes qui mènent à des situations inextricables. Certaines personnes malintentionnées utilisent cette option comme un moyen de se venger d’autres, détruire leur vie. Les témoignages des victimes de cet usage abusif des appels anonymes ne manquent pas. Les plaintes déposées auprès des commissariats de police pour harcèlement au téléphone sont aussi en augmentation constante, aussi bien dans les grandes villes que dans les petites bourgades.
C’est dire que le fléau n’épargne aucune région du pays et risque de s’accentuer et aggraver les dégâts. Il faut dire aussi que les citoyens et citoyennes qui prennent leur mal en patience, en n’osant pas porter plaintes, sont aussi nombreux. Cette partie d’Algériens évite les procédures relatives au dépôt de plainte contre X et craint aussi d’être considérée, à tort, comme fautive. Le harcèlement par des appels anonymes existe bel et bien dans notre société.
Des disputes quotidiennes jusqu’au… divorce !
Karima, la trentaine, vient de perdre sa petite famille à cause des appels anonymes. Cette infirmière exerçant dans une clinique privée à Alger ne s’est jamais attendue à ce que le plus cher projet de sa vie allait s’évaporer pour une affaire dont elle n’est pas responsable. Elle, qui a obtenu son acte de divorce fin mars, qualifie la téléphonie mobile de « malédiction ». En racontant sa malheureuse histoire, la jeune femme n’arrive pas à retenir ses larmes. « Mon mari n’avait jamais douté en mon honnêteté et ma fidélité envers lui. Mais les appels anonymes que je recevais constamment l’ont poussé à adopter une autre attitude. Ce n’est pas normal que tu reçoives des appels masqués chaque jour à 22 heures, me disait-il. C’est quelqu’un que tu connais bien. Il te bipe pour te souhaiter bonne nuit. Lorsque je lui ai demandé d’aller porter plainte contre X, il m’a dit qu’il n’avait pas le temps pour cela et que je devais lui prouver ma fidélité », lance Karima, sur un ton d’amertume. Son mari, dit-elle, a passé près d’une vingtaine de jours sans lui parler. « Il ne voulait plus de moi. Il me considérait comme une femme impure. J’ai opté pour une nouvelle solution, celle d’éteindre mon téléphone dès que je rentre à la maison. Mais là encore, sa réaction était plus sévère : il m’a accusé de vouloir cacher mes trahisons », ajoute notre interlocutrice, dépitée. La jeune infirmière est allée, indique-t-elle, au commissariat de police pour déposer plainte, mais elle a réalisé que la procédure est longue et qu’elle devrait ester la personne qui l’appelait, une fois découverte, en justice. « On m’a dit que si cette personne malveillante ne répondait pas à la convocation de la police, je devrais attendre. C’est trop, ça m’a usé. J’ai fini par abdiquer. Mon mari n’avait pas l’habitude de douter en ma fidélité, mais avec le cumul des appels masqués, il a été poussé à me répudier », regrette-t-elle. « Heureusement, il n’a pas révélé à mes parents la vraie cause du divorce. Sinon, j’aurais été égorgée. Nous avons dit aux parents que nos mentalités sont différentes et qu’au bout de huit mois de mariages, nous avons réalisé qu’il nous était impossible de vivre ensemble. Nous avons divorcé à l’amiable, à cause de cette malédiction du téléphone », conclut-elle. Karima n’est certainement pas la seule femme victime des appels anonymes. La face cachée du fléau dépasse de loin les faits révélés…
Défigurée par son frère aîné
Latifa est une autre victime des appels masqués. Cette étudiante de 23 ans, à l’université de Blida, a été brutalement frappée par son frère aîné, lorsqu’il a découvert que des appels anonymes lui parvenaient sans cesse. « Il n’a même pas cherché à comprendre. Il a consulté mon mobile pendant plus d’une semaine et il a découvert que je recevais plusieurs appels masqués par jour. Et lorsqu’il tentait de répondre à l’appel, le correspondant coupait la communication. Et c’est là qu’il m’a accusée d’immoralité. La semaine passée, lorsque je rentrais au salon, il s’est levé et m’a assaini un coup de pied sur la poitrine. Je suis tombée et il m’a ajouté d’autres coups de pieds sur le visage. Je me rappelle que des mots : je vais te tuer p…, tu as sali l’honneur de la famille…. », avoue la jeune étudiante. C’est grâce à l’arrivée de sa mère que Latifa a vu son salut. « Ma mère a entendu mes cris et elle est venue en courant. Elle a poussé mon frère et a vite appelé les secours. J’ai été transportée à l’hôpital où je suis restée près de deux heures en réanimation. Je suis toujours sous la menace d’être tuée. Mon frère qui a écrasé mon téléphone jure de me liquider », ajoute-t-elle. Latifa porte encore les séquelles de l’agression et se trouve contrainte de porter le voile malgré elle. « Je je ne peux pas montrer mon visage. Il me faut plusieurs semaines pour guérir totalement. Il y a même un médecin qui m’a conseillé de faire une chirurgie esthétique, mais je n’ai pas les moyens pour cela », regrette notre interlocutrice. La jeune étudiante affirme avoir déposé plainte au niveau du commissariat de police et attendre de découvrir les personnes à l’origine de sa tragédie.
« C’est mon voisin que j’ai refusé d’épouser…. ! »
Les personnes de mauvaise foi ne parviennent pas toujours à leur fin. La solidité du couple constitue un vrai pare-feu dans certaines situations. L’histoire de Salima, cette enseignante de langue française dans un CEM à Tizi Ghennif, au sud de Tizi Ouzou, en est un exemple édifiant. Mariée depuis trois ans et mère de deux enfants, Salima a failli divorcer à cause des appels anonymes, mais la confiance placée en elle par son époux, lui aussi enseignant et sa patience, ont triomphé à la fin. « L’histoire du harcèlement par des appels anonymes a duré plus de six mois. J’ai dit à mon mari que recevais chaque jour une moyenne de cinq appels et il m’a demandé de patienter et suivre l’affaire en toute sérénité. A chaque fois que je décide de porter plainte, il me retenait, me priant de ne pas donner d’importance à ces futilités », raconte-t-elle. Au bout de six mois, la situation est devenue insupportable. Le couple décide alors de déposer plainte. « Chaque jour à 21h30, mon téléphone sonnait. On s’est alors dirigé vers le commissariat de police et déposé plainte contre X pour harcèlement au téléphone. En l’espace de quelques jours, l’enquête menée par les services de sécurité a abouti à démasquer le fauteur de trouble », ajoute notre interlocutrice. Et la surprise était des plus grandes lorsque Salima a découvert qu’il s’agissait d’un ancien voisin qu’elle avait refusé d’épouser, il y a plus de quatre ans. « Il a dit devant les policiers qu’il voulait détruire ma vie conjugale et me pousser au divorce afin qu’il me demande une deuxième fois au mariage ! Il a reconnu qu’il me tenait rancune, avant de s’excuser auprès de mon mari. Nous avons quand-même décidé de lui pardonner », avoue l’enseignante.
La solution : supprimer les appels anonymes
Plusieurs citoyens interrogés sur ce sujet ont émis le souhait de voir l’option des appels anonymes supprimée définitivement afin d’éviter les problèmes qu’elle déclenche. Nos interlocuteurs affirment que cette option ne sert plus à rien et qu’elle peut mener à des crimes dans une société conservatrice comme la nôtre. « C’est une technique dépassée par le temps. A quoi sert d’appeler quelqu’un avec un numéro masqué ? Pour le surprendre, lui causer des problèmes ? Il ne faut garder de la téléphonie mobile que les aspects positifs », clame un groupe de jeunes étudiants. Pour les personnes âgées, la technique d’appels anonymes est simplement « une bombe qui risque de provoquer des dégâts énormes pour les familles ». Inutile et source de problèmes, les citoyens lancent un appel aux autorités concernées de les mettre à l’abri des répercussions préjudiciables en supprimant la technique des appels anonymes.