Dans cet entretien accordé en marge du Forum sur la monétique, la directrice générale de la Satim revient sur un parcours monétique national qui n’a pas tellement changé. Aujourd’hui, il est question de réorienter la stratégie qui, finalement, ne vise plus la « masse populaire » mais des fragments de celle-ci.
IT Mag : Bientôt une année depuis votre nomination à la tête de la Satim ; quel premier bilan tirez-vous de votre direction ?
Newel Benkritly : Pour moi, il n’est pas vraiment question d’un bilan, mais plutôt d’une continuité. Il y a eu un travail qui a commencé et qui dure maintenant depuis plusieurs années que je poursuis. J’ai une vision qui est la mienne, donc forcément j’apporte des changements par rapport à la stratégie de la place bancaire mais dans un esprit de continuité par rapport à ses objectifs et le premier, c’est le déploiement en masse du paiement, c’est cet objectif qu’il faut atteindre. Alors s’il y a un premier bilan à tirer, c’est l’utilisation de la carte, qui est basée sur les distributeurs automatiques et non sur les terminaux de paiement. Nous restons quand même très attachés au cash. L’intérêt aujourd’hui, c’est de réorienter notre stratégie justement pour favoriser les paiements par carte et c’est la raison pour laquelle nous faisons une offre sur les grands comptes plutôt que sur les commerces de proximité.
Quelle est votre vision et la feuille de route qui la sous-tend ?
L’utilisation de la carte comme moyen de paiement, c’est principalement sur les distributeurs automatiques qu’il faut l’amener parce que c’est un moyen didactique. C’est également un moyen de canaliser les porteurs de cartes et au-delà, c’est surtout une relation plus facile avec la banque ou les institutions financières. Cela n’empêche pas qu’en parallèle, nous travaillions avec les grands facturiers ainsi qu’avec les prestataires de services comme les opérateurs télécoms afin de mutualiser nos efforts sur le recours à la carte aussi bien sur les terminaux de paiement en agences que sur les automates de vente. D’ailleurs, il n’y a pas que les TPE, que les DAB, il y a aussi les bornes multimédias, les automates de vente de billets… Aussi, il existe d’autres grands secteurs qui se développent très vite, comme celui des transports, qui ont une forte tendance à aller vers la grande clientèle, et ces secteurs-là peuvent exercer une pression qui agirait directement sur l’utilisation de la carte.
Vous plaidez pour une mutualisation des efforts, est-ce à dire que jusqu’à présent, tous les acteurs concernés par la monétique ont travaillé en « solo » ?
Non, nous ne voyons que la partie visible de l’iceberg. Le déploiement du paiement s’appuie sur l’ensemble des acteurs. Nous l’avons bien vu, durant des années nous avons tenté d’en faire un produit bancaire uniquement et ça n’a pas pris, du moins pour l’aspect paiement. Aujourd’hui, afin de pouvoir développer cette partie-là, il faut intégrer tous ces grands acteurs, les consommateurs, le ministère du Commerce… Le ministère de la Justice a d’ailleurs été intégré de fait car il fallait réglementer tout ça. Les autorités en place sont également impliquées.
Justement, à propos de réglementation, vous n’en avez pas fait mention lors de votre intervention au Forum. La question ne se pose plus ?
Oui, du moins sur le volet du paiement de masse. Lorsque nous avions mis en place le centre de pré-compensation, la monétique avait déjà été prise en compte. Il y a un énorme travail qui avait été fait sur l’aspect juridique et le seul domaine qui n’a pas été abordé, car il n’était pas d’actualité à ce moment-là, c’était le e-commerce, c’est-à-dire le paiement par Internet. C’est la raison pour laquelle d’ailleurs nous n’avons pas pu le lancer.
Qu’y a-t-il lieu de faire alors ?
Pour ce qui est du paiement sur Internet, il y a un travail complémentaire à faire que nous avons commencé. Il est question d’aborder la partie réglementation. La vente à distance n’est pas du tout réglementée, laissant un vide juridique susceptible de porter préjudice aux consommateurs. L’intérêt de la place financière est de ne pas déstabiliser le système de paiement actuel. Un travail de recherche avait été mené en association avec les banques et la Satim afin de déblayer le terrain à travers des comparaisons entre ce qui existe chez nous par rapport aux normes internationales et d’identifier ce qui nous manque pour lancer le paiement en ligne. Nous sommes arrivés à évaluer le gap existant entre nous et ce qui se fait de par le monde et ainsi pouvoir faire des propositions dans le sens de compléter la partie réglementaire. Dans un premier temps, avec des protocoles d’accord, des contrats, des conventions de place… qui régiront les relations entre les parties en l’absence de lois puis, dans un second temps, arriver à faire des propositions aux autorités afin de pouvoir justement réglementer tout ça.
Plus concrètement ?
Aujourd’hui, nous sommes dans la phase préparatoire. C’est un dossier qui va être soumis. Mais il n’y a pas que cette partie-là. Il y a la partie des litiges par exemple. Comme nous avions réglementé les litiges sur les distributeurs automatiques, sur les paiements de proximité, il faut le faire sur Internet. Un client qui achète un service ou un bien sur Internet et qui ne le reçoit pas ; comment prouver la mauvaise foi, comment protéger les deux côtés, aussi bien l’enseigne que l’utilisateur. Et ces questions-là nécessitent du temps. Il y a un dossier qui vient d’être constitué, il sera soumis aux organismes concernés, entre autres le ministère de la Justice, celui du Commerce, des Finances, la Banque centrale… institutions qui doivent toutes apporter leur concours.
Pour en revenir aux paiements par carte, avez-vous mis en place des opérations ou des programmes afin d’augmenter les taux d’utilisation ?
Il y a un programme de déploiement, seulement il a été redirigé stratégiquement. Nous avons bien vu que malgré les 3 500 TPE (terminal de paiement électronique) installés, ceux-ci demeurent inutilisés. Par conséquent, ce ne sont plus les commerces de proximité qui sont ciblés aujourd’hui mais plutôt de grandes enseignes comme les facturiers ou les opérateurs télécoms, qui eux-mêmes disposent déjà d’un programme de déploiement de TPE. Je prends pour exemple les opérateurs GSM qui s’appuient sur des solutions de paiement électronique, tel le rechargement, simplement le paiement se fait en cash. L’intérêt maintenant, c’est d’intégrer la carte CIB sur ce TPE. Il y a d’autres projets en cours avec les opérateurs télécoms pour intégrer la carte CIB dans les paiements sur une infrastructure déjà existante sur laquelle il serait possible aussi de déployer des applications de « bill payment » (paiement de facture) sur les distributeurs. Ils existent déjà, sont installés et opérationnels, et ce n’est qu’une application de plus qu’on va implémenter. Et c’est tout un programme qui est engagé au niveau de la Satim mais aussi des banques. Il y a des projets à plus ou moins court terme, comme le rechargement GSM à partir d’un distributeur automatique qui pourrait être lancé d’ici à juin.
Pensez-vous que les banques n’ont pas totalement joué leur rôle afin de démocratiser la carte ?
Il existe des contraintes. Il ne faut pas toujours jeter la pierre sur tel ou tel acteur. Aujourd’hui, nous pouvons nous préoccuper de la carte, mais avant, tout un assainissement et une modernisation étaient nécessaires. Il y avait le système de télé-compensation à mettre en place, le chèque à normaliser et à sécuriser, de même que son traitement automatisé… La banque a différents projets et la monétique en est un parmi d’autres. Le rôle de la Satim était de mettre en place et, quelque part, de rôder le réseau monétique. Aujourd’hui, ça devient une étape majeure et une préoccupation de la place financière. Il faut répondre à une problématique qui est la circulation du cash à un point tel qu’il devient non disponible. Et l’ensemble des banques ont d’autres préoccupations, pas forcément celle-là ! Il n’empêche qu’elles ont toujours joué le rôle de l’interbancarité. Après, l’émission de cartes répond à d’autres contraintes.
Certes, il y a eu des banques qui ont été plus rapides que d’autres, plus volontaristes sur la monétique mais dans l’ensemble, nous avons été le seul pays à avoir démarré une interbancarité de fait dès le départ avec 18 institutions financières qui jouent le jeu.