Le programme « e-Algérie », depuis ces derniers temps, connaît une ébullition dans la mesure où beaucoup de choses s’accélèrent. Certes, même si le citoyen, auquel bénéficie en premier lieu ce programme, n’a pas le sentiment de palper ce programme dans sa vie au quotidien, il n’en demeure pas moins qu’il se situe à la surface d’un « iceberg » dont la partie immergée fourmille en actions qui se précisent de plus en plus. Dans cet entretien, M. Cherif Benmehrez, directeur général de la société de l’information et chargé de piloter le programme « e-Algérie », reste réaliste et pragmatique en expliquant une « stratégie » dont il serait faux de penser qu’elle pourrait se permettre le luxe de la précipitation. Il y a des étapes à franchir mais à ne pas brûler. Mais au-delà, une prise de conscience qu’un programme aussi ambitieux ne peut pas se suffire d’immenses ressources financières uniquement.
IT MAG : Qu’est-ce que la stratégie « e-Algérie ». S’agit-il d’une feuille de route qui renferme des points ou des opérations ponctuels qu’il faut simplement concrétiser ?
M. Cherif Benmehrez : C’est même beaucoup plus profond que cela car il faut arriver à créer de nouveaux besoins, de nouvelles exigences au niveau du citoyen, au niveau des entreprises, au niveau des administrations. C’est à partir de là que va s’installer une dynamique de création de services innovants afin de répondre à tous ces nouveaux besoins constamment. Il faut donc arriver à créer une dynamique pérenne, qui, une fois amorcée, continuera par elle-même. Notre stratégie, c’est de vraiment commencer cela avec l’administration électronique, qui doit être cette locomotive.
Qu’entendez-vous par administration électronique ?
Quand on parle d’administration électronique, il y a deux parties : il y a d’abord la modernisation des administrations en elles-mêmes, à travers l’installation de réseaux, les équipements, opérations qui sont prises en charge par ces dernières. D’un autre côté, il y a ce qu’on appelle les services électroniques. Nous avons déjà commencé bien que nous ayons un peu de retard parce que ces services électroniques en direction des citoyens notamment doivent contribuer à l’émergence d’une véritable société de l’information.
D’ailleurs, dans les prochains jours, nous allons lancer un avis d’appel d’offres pour créer et développer des services en ligne pour 10 administrations publiques et nous prenons en charge cette opération. Parce que l’administration publique nécessite une certaine expertise voulue qu’elles n’ont pas forcément. Elles ont exprimé leurs besoins pour certains services et nous les prendrons en charge.
Ces services seront-ils intégrés dans le Réseau intergouvernemental ?
Non, il ne s’agit pas du RIG, ce sera des services qui seront mis à la disposition du citoyen à travers un accès ADSL.
Ils sont de quelle nature ?
Ce sont des services qui peuvent être informationnels, entre autres le fait de pouvoir récupérer des formulaires, les remplir… ce qui est déjà beaucoup. Nous avons lancé le processus de développement de ces services en ligne et avons engagé cette opération avec les différentes administrations publiques. Comme je le disais, une fois ces services lancés, nous continuerons à faire de même avec les autres administrations.
Existe-t-il des obstacles particuliers à vos différentes opérations ?
Nous éprouvons beaucoup de contraintes avec les processus liés aux marchés publics, notamment la bureaucratie qui est très gênante, mais nous sommes obligés de nous y conformer. Ça peut être un véritable obstacle aux TIC. Il y a autre chose également ; j’ai parlé des services qui seront lancés à travers l’ADSL, nous sommes en train de faire beaucoup d’effort pour lancer des services à travers le mobile. Un mobile que nous avons tendance à oublier sachant que d’ici à deux années, le haut débit mobile va être la technologie prédominante. C’est le meilleur moyen de communication avec le citoyen car là où il va, il a le mobile à sa portée. Donc nous sommes en train de sensibiliser nos différents partenaires, les entreprises publiques, notamment la poste, pour mettre en place justement des services à travers le téléphone mobile. Il existe déjà toute une gamme de services qui ne posent aucun problème, notamment des services d’information. Si nous arrivons par exemple à informer par SMS l’usager que son virement a été effectué, nous lui éviterons de se déplacer jusqu’au bureau de poste. La moitié des chaînes que nous voyons dans les bureaux de poste sont constituées de gens qui veulent connaître leurs avoirs. D’ailleurs, le ministre a été catégorique sur la question, et a même insisté pour que durant ce premier semestre, un tel service soit lancé.
Autre point, la ressource, avec un grand « R », est aussi un autre obstacle. Vous savez très bien que si je veux intégrer la société de l’information, si je veux créer une économie numérique, il faut former. La formation est essentielle, depuis la bonne femme qui est au fin fond des Aurès jusqu’au plus haut fonctionnaire. Il faut s’engager dans un grand programme de formation ; pour toute la société algérienne, toutes les entreprises, la fonction publique, les écoliers… et pour ce faire, il me faut des ressources, j’ai besoin aussi de locaux… En fait, il faut un leader, quelqu’un qui ait cette vision transversale et qui se dise que même si l’Etat ne m’a pas donné un budget pour cela, il faut que je me « débrouille » afin de le mener à terme. Il faut quelqu’un qui ait cette vision transversale et qui ait de l’initiative. Si j’ai besoin de locaux, alors j’impliquerai et ferai appel à toutes les administrations pour les obtenir, il me faut les financements nécessaires pour acheter les équipements, alors je fais appel à toutes les entreprises et lancerai une campagne pour cela, puis il me faut développer des contenus, alors se pose la question du genre de ce contenu. Il y a celui de base, pour pratiquement tout le monde, mais il m’en faut aussi qui soient plus poussés. Ce sont tous des projets intégrés et qui sont extrêmement difficiles à mener dans le sens où ils sont transversaux et il n’est pas possible de les fractionner. Quelque fois, lorsqu’on a un gros problème, on essaie de le fractionner et on s’attaque à chaque fraction séparément. Ici, ce n’est pas le cas ! Chaque partie dépend d’une autre, et il faut alors une approche holistique qu’il faut entreprendre et donc avoir des gens capables de conduire un projet d’envergure, à dimension transversale. Et chacun des projets du programme « e-Algérie » est de cette envergure-là et les gens pour les encadrer ne courent pas les rues.
Qu’en est-il alors des ressources financières ?
Nos ressources sont très limitées. Nous disposons d’un fonds, qu’on appelle le Fonds de développement des usages des TIC, pourvu de 6 milliards de dinars. Et ce n’est pas vraiment un fonds pour de grands projets d’envergure autrement il sera vite épuisé. Il s’agit d’un fonds prévu pour mener des expériences pilotes. Il est capable de financer des projets qui auront un grand impact mais qui ne demandent pas beaucoup de ressources et c’est ceux-là que nous prenons encharge de manière prioritaire.
A travers le programme « e-Algérie », beaucoup de consultations vont être lancées. Existe-t-il une « préférence » affichée pour mettre en avant les entreprises algériennes ?
Le programme « e-Algérie » doit être pris en charge majoritairement par les entreprises nationales. Il est vrai que nous avons lancé quelques d’avis d’appel d’offres où les entreprises locales n’ont pas été retenues car la nature du projet en lui-même faisait qu’il n’était pas possible de les sélectionner. C’était le cas par exemple pour le schéma directeur de l‘administration électronique où il n’y avait aucune entreprise algérienne qualifiée pour répondre à la consultation et seules des entreprises étrangères avaient la capacité de prendre en charge ce projet. Néanmoins, nous allons lancer des consultations pour développer des services en ligne où nous allons privilégier les entreprises algériennes. D’ailleurs, nous avons essayé de mettre en place un partenariat « public – privé ». Nous sommes vraiment conscients que le programme « e-Algérie » doit absolument faire appel aux entreprises algériennes. Pour nous d’ailleurs, le partenariat « public – privé » est très intéressant parce que, quand, en tant qu’administration publique, je confie à une entreprise algérienne privée un projet, j’ai la garantie d’un travail qui va être bien fait, je lui impose une certaine qualité. Le projet « e-Algérie » fonde beaucoup d’espoir justement sur ce partenariat « public – privé ». De même, il existe beaucoup de mesures qu’on essaie d’introduire pour favoriser les entreprises nationales, notamment pour l’industrie du contenu.
A propos du contenu justement ; qu’est-ce que c’est précisément ?
D’abord, un contenu se distingue par sa diversité. Pour ma part, en tant que technologue, en tant qu’électronicien, le contenu, c’est juste des « 0 » et des « 1 ». La révolution numérique, l’ordinateur ont complètement chamboulé ce qu’on connaissait de l’information, ce qu’on savait sur les données. Aujourd’hui, tout ce que nous avons à notre disposition comme équipements, depuis notre téléphone qu’on a dans la poche jusqu’au flash-disk… utilisent des ordinateurs, c’est-à-dire que tous les signaux sont convertis en données. On peut numériser toute l’information de manière générale, quelle que soit sa forme. Et c’est seulement le traitement de cette information qui varie, et le traitement c’est un simple logiciel qui va le faire suivant la nature de l’information : image, son, vidéo… Et quand on parle de contenu, il s’agit de l’information la plus générale possible. Le contenu, c’est aussi tout ce qu’on peut stocker dans une mémoire.
Existe-t-il des échéances précises lors desquelles telle ou telle opération sera concrétisée ou généralisée ?
Vous savez, à nous seuls, nous n’avons pas les capacités de prendre en charge tout le programme « e-Algérie » car ce dernier doit aussi être concrétisé par les entreprises algériennes, les centres de recherches, les étudiants, pourvu qu’ils aient les compétences voulues. Cela dit, parmi nos différents mécanismes d’encouragement à la création d’une industrie du contenu, je peux vous citer la facilitation aux éditeurs de logiciels l’accès aux marchés publics, la simplification de l’accès à ces mêmes marchés aux entreprises spécialisées en TIC, nous avons encouragé le développement de logiciels à base de standards ouverts. Toutes les mesures possibles et imaginables ont été mises sur le papier, maintenant il faut les concrétiser.
Donc le développement de logiciels à base de standards ouvert est un choix…
Absolument. Ceci va permettre de réduire les coûts de manière évidente. Vous savez, il faut avoir vécu ce que nous avions connu par le passé. Je vous ramène 25 ans en arrière; très peu d’Algériens savent qu’au CDTA, à cette époque, nous étions très avancés dans la conception des ordinateurs. Nous étions les meilleurs parmi les pays arabes et même au niveau africain où nous étions les premiers dans ce domaine. Toutefois, nous avions buté sur un seul point. Effectivement, nous avions bien mis au point une machine très sophistiquée, multitâches, multiutilisateurs… du point de vue « hardware », nous n’avions rencontré aucun problème : sauf que nous n’avions pas pu intégrer un système d’exploitation standard dans nos machines car c’était des systèmes tellement fermés, à l’époque, que nous n’avions pas eu l’occasion de le faire ! Si nous avions pu le faire à ce moment, nous serions allés très loin dans l’industrie des ordinateurs actuellement. Si à ce moment-là on avait eu les logiciels ouverts, nous serions vraiment allés loin. A présent, une partie du fonds d’appropriation sert au développement de logiciels spécifiques, notamment pour les communes, l’enseignement et, la plupart du temps, nous imposons que ce soit des logiciels de cette catégorie.
Qu’a prévu le programme « e-Algérie » en matière de protection des utilisateurs, de garantie de la confidentialité de leurs échanges ?
De manière évidente, il n’est pas possible de créer une société de l’information et une économie numérique si nous ne mettons pas en place un environnement de confiance. Certes, nous sommes un peu en retard dans ce domaine mais nous y travaillons et il y a tout un pan du programme « e-Algérie » concernant ce point. Il existe beaucoup de textes qui sont en cours de rédaction à ce sujet. Néanmoins, il faut savoir aussi comment rédiger ces textes. C’est un peu nouveau pour nous. Il va y avoir une grande loi sur la société de l’information. Et qu’est-ce qui s’échange dans cette société de l’information, ce sont des données ! Il y a des prestataires de services, donc qui transmettent des données d’un point à un autre. Alors il faut déjà mettre en place cette loi qui régit les transferts de données entre individus et qui mette en place les grandes lignes. A partir de là, nous pouvons réfléchir à des règlementations plus spécialisées suivant des domaines plus spécifiques, par exemple celui du e-commerce. Il y a cette grande loi sur la société de l’information sur laquelle nous travaillons et qui est pratiquement aboutie.
Quel est le coût d’un tel programme national ?
Ce n’est pas absolument important. Le coût du programme n’est qu’une goutte d’eau par rapport à ce que nous perdons parce que nous sommes en retard.
Existe-t-il des indicateurs précis qui vous aident à évaluer la situation des TIC et, par-delà, pouvoir agir à partir de ces informations afin de définir ou d’adapter vos politiques ?
C’est aussi notre grande faiblesse de ne pas pouvoir évaluer bien que beaucoup de choses aient été faites et sont en train d’être faites, notamment pour mettre en place des indicateurs. Mais encore une fois, il faut avoir les ressources nécessaires. Il existe tout un axe « e-Algérie » consacré à l’évaluation, à la mise en place d’indicateurs pour la société de l’information, pour les différentes actions du programme « e-Algérie ».
Le MPTIC chapeaute la mise en œuvre du programme « e-Algérie » vis-à-vis des administrations publiques. Jouent-elles pleinement le jeu ?
Heureusement aujourd’hui, toutes les administrations publiques travaillent avec nous. Ce qui n’était pas le cas précédemment car elles sentaient comme si nous leur avions imposé quelque chose. Non, il ne faut rien imposer mais plutôt responsabiliser. Nous sommes, comme l’avait affirmé le ministre, un catalyseur. Nous avons également une mission de coordination, de mutualisation des efforts et nous sommes là pour faire en sorte de dépenser les budgets rigoureusement sans en perdre un centime.