11 décembre 2024

«Cap’» ou pas «cap’» ?

Depuis au moins les cinq dernières années, beaucoup d’efforts ont été consentis, tant au niveau institutionnel, ministériel que dans le rayon d’intervention d’une entreprise de services afin de créer justement un usage nouveau du Net, dont chacun pourrait profiter. Mais encore faut-il mettre en adéquation offre et demande et surtout trouver le moyen d’atteindre tous les profils et pas uniquement le 1.83/100 habitant qui a accès au Net.
Il est certes possible, aujourd’hui en Algérie, de « consommer » un service ponctuel pour un usage de même nature; pour peu qu’un accès à celui-ci existe. Généralement, il s’agit de portails qui conglomèrent, à un stade basique, des « petits services » d’information, d’orientation, de procédures ou de téléchargement de formulaires… Néanmoins, lorsque l’administration judiciaire, à titre d’exemple, vous offre de commander votre « casier » directement de chez vous ou d’un cyberespace, elle ne manque pas de vous préciser de venir vous-même le récupérer. L’idéal aurait été de se faire livrer ce document à domicile, ce qui, en soi, est l’aboutissement naturel et logique d’une telle procédure. Autre exemple, autre domaine : il est actuellement possible de consulter sur Internet sa facture de téléphone fixe ou mobile ou encore de choisir sa voiture, de la passer au nuancier, de la précommander… mais pas de les payer. Moult services existent en effet en Algérie et à fur et à mesure de la capacité des uns ou de l’imagination des autres, de nouvelles utilisations sont parsemées sur la Toile au seul profit des internautes. Mais il y en a un qui ne « prend pas » bien qu’ailleurs, ses perspectives et son rôle majeur en tant que moteur de croissance ne fassent qu’embellir, c’est l’« e-commerce ».
{{Du comptoir à la Toile}}
L’e-commerce ne diffère du commerce traditionnel que par la lettre qui le précède : « e » pour « electronic ». Juridiquement non plus ils ne sont guère différents, dans la mesure où les intervenants sont les mêmes sauf que dans le premier cas; un réseau informatique leur sert, en quelque sorte, de comptoir. De nos jours, en quelques clics, on achète, on vend ; on achète encore puis on revend ! Les chiffres sont éloquents : les ventes sur Internet dans le monde devraient progresser de 23% cette année et de 18% celle d’après, selon les « prévisions Xerfi », un institut européen d’étude économique privé, le tout pour un chiffre d’affaires prévisionnel de plus de 260 milliards de dollars. Certes, il n’existe dans ces chiffres aucune nuance quant au segment concerné, mais c’est déjà énorme !
En Algérie, cela aurait représenté une manne financière colossale si jamais chacun des 5 millions d’utilisateurs estimés du Net et plus des 30 millions de possesseurs d’un téléphone mobile dépensaient au minimum 100 dinars par mois dans une transaction e-commerce. Si jamais…
Engagée dans un processus profond de modernisation et peut-être forcé de mondialisation, l’Algérie est capable techniquement de se mettre au diapason de ce qui se fait en la matière, d’autant plus que sa position quelque peu « retardataire » peut parfaitement jouer en sa faveur : gagner du temps en choisissant les meilleures pratiques techniques du e-commerce et minimiser les risques liés à ce domaine en adoptant, dans un premier temps, le meilleur cadre juridique et l’adapter à son propre contexte s’il le faut, dans un second temps. Les énergies ainsi que les compétences afin de chapeauter et de diriger un tel tournant ne font pas défaut non plus.
Hélas, la réalité a ceci d’amer que les seuls mouvements fiduciaires qui interviennent dans un circuit virtuel sont assurés par les banques ou les institutions équivalentes, à travers quelques rares opérations permises sur compte propre ou d’entreprise et encore, ce ne sont que certains profils bien précis qui en profitent. La masse, elle, est plutôt à l’écart. Et quand bien même les «internautes » de masse conviendraient d’acheter quoi que ce soit sur Internet, à l’heure actuelle, il n’existe aucune offre locale de vente en ligne.
{{Une industrie embryonnaire}}
Timidement, quelques industries en Algérie franchissent le pas et intègrent dans leurs pages Web des sections où il est possible d’acheter « quelque chose». Le tourisme, ou du moins dans sa partie « booking », permet cela en tout cas. Toujours est-il que l’étape « fatidique » du paiement avec sa carte bancaire n’est pas encore atteinte. Exception faite aux détenteurs d’une carte EMV mais le propos ne les concerne pas ! Air Algérie, hôtellerie de luxe et plus récemment voyagistes tentent quelques percées et dédient une page à ce volet. La compagnie aérienne va plus loin en adoptant le paiement avec des cartes CIB, donc en monnaie locale. Cependant, quelque part, il aura fallu à l’industrie touristique de se sentir « acculée » pour oser la chose et être aux normes afin de pouvoir se montrer compétitive et surtout récupérer une part de marché « non physique ». Et dire qu’il ne s’agit là que du volet services. Qu’en est-il alors du véritable e-commerce, là où un Algérien peut repérer un article sur le Net, le commander, le payer puis attendre qu’on le lui livre. Poser les jalons du commerce électronique est entièrement faisable en termes de technicité. A vrai dire, le commerce électronique n’est rien d’autre que l’extension électronique d’un commerce habituel. Un marchand de chaussures pourrait disposer d’un site Web doté d’une application e-commerce et le voilà ouvert 24h/24 et 7j/7. Un parfumeur aussi, un vendeur de meubles… Sur papier, tout est possible ! Sur le terrain, aucune des différentes déclinaisons du e-commerce à proprement parler n’existe : pas de « business-to-consumer » (B2C), qui, comme son appellation l’indique, ne s’adresse qu’aux particuliers, et encore moins de « business-to-business » (B2B), du moins propre à un réseau clos fait exclusivement d’entreprises algériennes, malgré l’existence d’initiatives hybrides. De là à parler de « costumer-to-costumer » (C2C), c’est-à-dire des opérations d’achat ou de revente en ligne entre particuliers, ou même de e-commerce transfrontalier !
{{Si facile mais tellement complexe…}}
Autant il est facile d’implémenter une solution de e-commerce pour une entreprise qui souhaiterait vendre sur le Net, au vu de la multiplicité et de la variété technologique des supports qui s’y adressent, autant il existe d’embûches de toute nature à ce genre d’« aventure ». Sauf que certaines sont plus ou moins franchissables et d’autres plutôt… imprévisibles.
Dans le cas de l’Algérie, les problématiques qui pourraient empêcher, du moins immédiatement, toute initiative dans l’e-commerce sont d’ordre juridique, logistique et d’ordre culturel, entre autres ! Et chacune de ces contraintes possède son propre enchevêtrement de « surprises ».
Pour le premier point, aucun cadre légal, législatif ou juridique soutenant, réglementant et régissant formellement la vente en ligne n’existe en Algérie. Bien plus, rien dans la réglementation ne protège le consommateur en cas de litige ou dans une situation de conflit avec son fournisseur ou son prestataire survenus sur le « territoire de la Toile ». L’Algérie devra, tôt ou tard, se doter d’une batterie de mesures afin d’entrer de plain-pied dans l’industrie de l’e-commerce. Autant qu’elle le fasse selon ses propres contextes et spécificité. C’est inévitable. D’ailleurs, pour rappel, l’un des critères d’adhésion à l’OMC est directement lié au commerce électronique transfrontalier. Les membres de l’OMC avaient étudié la question dans le contexte des accords du Cycle d’Uruguay et du mandat de l’OMC ; et sont revenus sur le sujet lors du cycle de Doha, en 2001, indiquant « [que] leur pratique, consistant à ne pas imposer de droits de douane sur les transmissions électroniques » devrait être maintenu en l’état. Au-delà de l’aspect juridique national ; l’Algérie doit se mettre au niveau de ce qui se fait par les pays tiers. Un Algérien pourrait acheter un article sur Internet d’un vendeur qui se trouve en dehors de la juridiction nationale et rencontrer un défaut à la réception de son objet, à qui va-t-il s’adresser pour le changer, se faire rembourser, qui va le protéger ? Dans l’Union européenne par exemple, « pour tous les achats effectués en dehors de l’UE, les droits de douane et la TVA sont à acquitter à l’entrée sur le territoire. Comme l’acheteur n’est généralement pas présent au moment où la commande passe la frontière [le plus souvent il s’agit d’un aéroport], les services postaux sont assermentés pour encaisser ces taxes ». C’est dire la complexité de la chose. Mais ça ne s’arrête pas à ces considérations. Des textes de loi très lourds et très réfléchis doivent également spécifier ce qui peut être vendu ou de ce qui ne peut l’être, comment le payer, avec quelle monnaie, etc. Tout doit être codifié et tous les volets du commerce en ligne doivent être clairement spécifiés et identifiés tant pour un usage interne qu’en direction des partenaires commerciaux de l’Algérie. Il existe une loi onusienne dite « Loi type de la CNUDCI sur le commerce électronique [… ]» dont le pays peut s’inspirer, mais le modèle d’affaires qui y est décrit n’a pas encore cours en Algérie.
{{Commencer par
le commencement}}
Second point : l’aspect logistique. Vu que les moyens de paiement, tels que la carte de crédit ou le chèque électronique, n’existent pas encore, en tout cas pas en masse, et vu que les moyens présents de livraison sont loin d’être fiables, quelle est l’alternative ? Le e-commerce n’est pas simplement un site avec toutes les fonctionnalités désormais classiques d’un site e-commerce, même si dotés des dernières technologies de paiement électronique. La logistique, et son coût, nécessaire pour fournir les produits aux clients demeure la pierre angulaire de tels projets. En Algérie, la garantie de livraison des colis indemnes, en temps et en heure, reste encore à prouver ! Bien plus que cela, pour assurer la perpétuité d’une telle activité, la mise en place d’un service client après-vente est primordial. Le défi autour des différentes demandes qu’un client pourrait avoir et au dispositif qu’il faudra mettre en place pour le satisfaire n’est pas simple. Que faire si un client prétend n’avoir jamais été livré ; comment résoudre les problèmes des produits arrivés en état défectueux ; comment faire face aux problématiques liées à la garantie qui, souvent, accompagnent la vente de tout produit ? D’autant plus que la rétention des clients dans le domaine du e-commerce est très fragile. La moindre insatisfaction est synonyme de perte d’un client chèrement acquis. Encore une fois ; c’est d’une complexité qui rebuterai toute bonne volonté. De plus, même si une entreprise offrirait de transporter l’article acheté, il est clair que le prix d’achat sera gonflé jusqu’à devenir inaccessible. La seule façon pour un marchand de vendre des produits en ligne actuellement à des Algériens en Algérie, c’est de leur offrir un moyen de paiement facile et sécurisé et un moyen de livraison fiable. Or, ce n’est pas possible ! De plus, le commerce électronique, dans ses processus de validation des transactions, a besoin de centres certificateurs indépendants qui garantissent la légalité des échanges et qui fournissent les signatures électroniques nécessaires. Or, mis à part une mise à jour dans la loi sur les TIC qui concerne ce volet, donnant autorité en la matière à l’ARPT, il n’existe pas en Algérie de centre certificateur majeur capable de générer, gérer et surveillez sécurité et l’inviolabilité des transactions.
{{La culture du toucher}}
L’Algérie, contrairement aux pays occidentaux par exemple, n’a jamais eu la culture de la vente à distance. Evidemment ; cet argument ne suffit pas à lui seul à expliquer le retard dans le domaine. L’Algérien, par sa culture et par ses habitudes de consommation, est réfractaire à toute « virtualité ». Il veut voir, toucher, essayer, retourner dans tous les sens l’objet de sa convoitise puis réfléchir à l’éventualité de l’acheter ou non. Le seul atout dont peut se prévaloir la vente en ligne est des prix bas, attractifs, qu’on ne retrouve pas dans le commerce traditionnel. C’est sa seule et unique arme. Même si la génération actuelle, celle qui a assisté à l’explosion du Net, paraît bien plus encline à tenter la chose, il n’en demeure pas moins que déjà, lorsqu’il est question de vrai commerce ; il n’est pas si simple d’y trouver son compte. Cependant, toutes les contraintes citées sont interdépendantes. Le consommateur algérien doit impérativement se sentir en confiance lorsqu’il entame un achat sur Internet : qu’il se sente protégé par la loi, qu’il se sente rassuré quant à l’acheminement dans les délais et dans un bon état de son produit, qu’il soit sûr qu’aucune entité autre que celle avec laquelle il émet une transaction n’a eu ses données personnelles. Jusqu’à aujourd’hui, tout ceci n’est pas possible. Il n’existe même pas une association ou une fédération d’associations de consommateurs pour se protéger ou constituer une force de propositions viable à soumettre aux interlocuteurs institutionnels.
{{Micro-paiement : le test grandeur nature}}
L’Algérie peut parfaitement tirer son épingle du jeu en s’inspirant de ce qui se fait le mieux de par le monde. Toutefois, déjà, loin d’être du véritable commerce en ligne, le micro-paiement peut servir de test grandeur nature au moins pour avoir le retour d’écoute nécessaire des consommateurs. Le micro-paiement permet d’acheter des services ou des contenus à faible valeur monétaire et diverses alternatives à la carte de crédit existent pour ce faire, entre autres l’appel d’un numéro de téléphone surtaxé, le SMS, la solution Internet qui consiste à facturer les micro-paiements sur la facture mensuelle du fournisseur d’accès internet du client, la même mais pour le téléphone mobile, les cartes prépayées, qui sont débitées à chaque achat, etc. Même si ces solutions « existent » en Algérie ; ce n’est pas ouvertement et encore moins cernés et formalisés par un cadre législatif clair qui protégerait autant ceux qui en vivent que ceux qui le proposent. Néanmoins, c’est bien plus l’œuvre des opérateurs de téléphonie mobile, qui essaient de vendre du contenu via leurs réseaux mobiles que celle de sites Web algériens qui, éventuellement, offriraient ce genre de services. Et même s’ils le faisaient, à l’image de Cashdz.com ; cela deviendrait très vite dispendieux et donc sans intérêt pour le consommateur à cause des règles du change.
A ce propos, Eglantine Dever, directrice des études du groupe Hi-Media, société indépendante leader européen sur le marché de la publicité interactive et des paiements électroniques et éditeur de l’un des moyens de paiement les plus utilisés, le Allopass, estime qu’à l’heure actuelle, il n’est pas possible de s’implanter en Algérie « car ce marché ne nous semble pas encore assez important en termes de potentiels de clients et trop risqué en termes de charge-backs ». Comprendre qu’en cas de litige, il n’existe aucun moyen de recours étant donné qu’un « charge-back » est le fait qu’un titulaire d’une carte informe sa banque qu’une transaction n’avait pas été autorisée par lui ou que le produit commandé n’a pas été livré. En revanche, étant donné qu’elle est valide en Algérie, seule la carte Neosurf est proposée, qui permet des micro-paiements sur certains sites.
« Pour le moment, nous n’envisageons pas à court terme de s’implanter en Algérie », dit-elle tout en poursuivant : « Il n’existe pas, à ma connaissance, d’études libres d’accès sur le sujet. Le micro-paiement, selon moi, est un marché en pleine expansion en Europe en raison de plusieurs facteurs : l’essor de l’Internet mobile avec l’arrivée des smartphone. En effet, de nombreux éditeurs cherchent a monétiser leur contenu sur ce nouveau support pour diversifier leurs sources de revenus. Du côté des utilisateurs, de nouveaux usages se développent. Les utilisateurs deviennent de plus en plus des consommateurs convergents souhaitant consulter les contenus où ils veulent quand ils le souhaitent. Ceci implique donc une plus forte consommation des contenus numériques en situation de mobilité.
Aussi, l’émergence du modèle Freemium qui favorise les achats impulsifs et de petits montants. C’est un modèle de plus en plus privilégié par les éditeurs de musique et de jeux. Par exemple, l’explosion des jeux sociaux a entraîné une révolution des business-models des jeux en ligne se traduisant par une offre de plus en plus importante de jeux gratuits avec des options payantes via l’achat de monnaie virtuelle ». Le micro-paiement pourrait donc servir de tremplin pour aller vers le commerce en ligne mais encore faut-il l’encadrement nécessaire afin que ni consommateurs ni éditeurs ne soient lésés. Et il faut bien comprendre qu’il s’agit ici de « produits de consommation » immatériels ; jeux, musique, services divers…
{{m-payment ; l’étape suivante ?}}
Pas de sites marchands, des solutions de paiement en ligne marginales et au prix prohibitif ; que de sombres perspectives pour le moment ; serait-il alors crédible de poser la question du « m-paiement » en Algérie ? Dans le monde, on y est arrivé : payer ses achats par son téléphone mobile est devenu un usage quotidien au Japon, aux Etats-Unis. Il est clair que c’est la nouvelle manne pour les opérateurs mobiles en donnant l’opportunité à leurs clients de pouvoir payer, voire acheter par mobile. Chez le voisin tunisien, le cadre réglementaire a été bien plus propice à Tunisiana par exemple pour lancer le M-dinar, une solution de m-paiement. Mais encore une fois, la multiplicité des acteurs et le besoin de se conformer aux usages et aux comportements des consommateurs peuvent freiner le développement de ce genre d’utilisations.
Bien que le m-payment bénéficie d’un contexte plutôt favorable, les perspectives économiques lui prédisant des transactions qui devraient atteindre 22 milliards de dollars en 2011, il existe encore des freins liés à cette utilisation tels que les problèmes de collaboration entre les différents acteurs ; le coût des infrastructures et des terminaux compatibles et le manque d’adhésion des distributeurs et des consommateurs finaux… La question ne se pose donc pas pour le moment en Algérie même si le secteur bancaire pourrait montrer l’exemple en proposant ses services habituels sur des plates-formes mobiles. Encore faut-il que l’utilisateur accepte de jouer le jeu !

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