{{ {It Mag} : Quelle est votre appréciation sur le colloque ?}}
{
Dr Chemakh} : L’initiative prise par le CNPLET et l’ONEF, en partenariat avec la MSH (Université Paris 8), l’UFC et Djaweb d’Algérie Télécom, est excellente. C’est même une première en Algérie. Encore une fois, c’est tamazight qui regroupe des universitaires et des intellectuels, et c’est tant mieux. Néanmoins, c’est dommage que les deux départements de langue et culture amazighes, le HCA ou d’autres institutions chargées de la promotion de tamazight n’aient pas pris part à l’initiative depuis le début de leurs existences respectives. Mais il y a un début à tout. J’espère que d’autres institutions suivront dans ce sillage.
{{«Modes de présence de tamazight sur le net» est le thème de votre communication lors de ce workshop, qu’en est-il de cette présence ?}}
Pour réduire la fracture numérique, il est nécessaire que les locuteurs des langues minorées et minoritaires se prennent en charge et investissent la toile. Cette dernière a été pendant longtemps sous la chape de l’anglais. Mais plusieurs Etats, institutions, associations et personnalités ont tenté et même réussi non seulement à faire du web un instrument de partage de savoir, mais aussi un outil de préservation de la diversité culturelle et linguistique. Les Imazighen ne sont pas en reste, puisque dès le début des années 1990, ils ont tenté de se frayer un chemin sur la toile. Certes, le tamazight s’insère difficilement, mais le processus est irréversible. Beaucoup de berbérophones sont conscients que sans une présence sur le net et dans l’enseignement, le tamazight sera voué à une mort lente mais certaine comme les milliers de langues condamnées à disparaître au cours du XXIe siècle. Beaucoup d’entre eux ont réagi avec un réflexe de survie.
Actuellement, nous avons plus de 300 sites traitant de près ou de loin de tamazight. En utilisant les deux indices d’estimation de la présence sur Internet, à savoir le nombre de visite et le trustrank, nous arrivons à 17 sites importants. Néanmoins, cela ne veut nullement dire que les autres ne valent rien, bien au contraire. Ils ont une valeur mais limitée du fait de leur spécialisation. A l’heure du web 2.0, plusieurs problèmes se posent toujours aux sites amazighs, dont le manque de domaines valables, le manque de syndication RSS, les constructeurs de micros n’intègrent pas encore le tamazight comme langue avec ses polices (tifinagh et latin), alors que Hapax Amazighe est intégrée comme police Open Type au PMB d’Unicode dans la rangée 2D et cela en conformité avec l’ISO/CEI 10646 depuis 2003… Il n’existe pas encore de convertisseur amazigh-UNL. Enfin, certains webmasters manquent de formation en informatique, en XML et autres outils nécessaires pour une bonne présence sur la toile.
{{Qu’en est-il du problème du choix de la transcription de tamazight}}
Pour moi, et cela reste un avis personnel, ce n’est pas un problème car j’ai tranché pour l’usage des caractères latins que ce soit dans mes écrits ou mes cours. Je suis démocrate et je respecte l’avis des autres : si quelqu’un veut écrire en caractère tifinagh ou arabe qu’il le fasse. L’essentiel est qu’il ne m’impose pas de le suivre. De toutes les façons, ce qui m’intéresse c’est de donner à tamazight les outils qui vont lui permettre de vivre et de ne pas mourir. L’enseignement par le biais des nouvelles technologies (visioconférence, TBI, e-learning, bibliothèque numérique…), l’amazighisation de certaines matières dès le cours primaire (histoire, géographie, éducation civique…), etc., voilà les véritables chantiers qui nous attendent.
{{Vous avez participé à plusieurs colloques à l’Ircam au Maroc. Où en sont nos voisins par rapport à nous ?}}
Nos frères du Maroc sont très en avance par rapport à nous en matière d’accès aux nouvelles technologies. Regardez les sites Internet qu’ils mettent en ligne et vous aurez une idée. La création de l’Ircam par Mohamed VI après le discours d’Ajdir en 2002 a beaucoup contribué à dégeler «la question amazighe». Mais beaucoup reste à faire : en premier, l’Etat marocain doit reconnaître tamazight comme seconde langue officielle. Les blocages du ministère marocain de l’Education nationale doivent sauter. Endehors de ces aspects, il faut avouer que les Algériens sont en retard en matière de NTIC.
{{Ce retard, selon vous, serait dû à quoi ?}}
Les autorités n’ont pas encore compris l’importance des NTIC. Peut-être que quand ils s’en rendront compte, les Occidentaux, les Chinois, les Russes et les Japonais, pour ne citer qu’eux, seront déjà passés à d’autres progrès qui maintiendraient l’Etat algérien dans une ‘éternelle’ dépendance. Est-ce que vous vous imaginez que les étudiants algériens n’ont pas tous accès à Internet en 2008 ! Ils ne bénéficient même pas de l’opération ‘un ordinateur pour chaque étudiant’ ! On leur demande de se soumettre au système LMD car conforme aux universités européennes. Et les autorités trouvent cela normal ! Si ce n’est pas de l’inconscience, c’est quoi alors ? Le LMD est un excellent système mais accompagné de toutes les mesures appropriées comme en Europe.
La démocratisation de l’accès au net par l’ouverture du marché du net, de la téléphonie… aux opérateurs sérieux, l’utilisation de la fibre optique, la réduction des prix des connexion… sont autant d’éléments qui peuvent contribuer à rendre le net accessible à tout un chacun.
{{Quels sont les problèmes que vous rencontrez pour la concrétisation du projet de la bibliothèque numérique berbère ?}}
Pour l’instant, nous n’en sommes qu’au début de la tâche. La création d’une bibliothèque numérique amazighe (BNB) suppose des problèmes de stockage des données, leur préservation, ainsi que l’accès ouvert à tous à celle-ci. Mais en premier lieu, elle suppose des techniques de numérisation, de normalisation des contenus et de validation de ces derniers. Le workshop organisé les 28 et 29 mai avait pour but la réflexion et la mise en commun des différents apports en vue de la réussite de ce premier projet qu’est la bibliothèque numérique amazighe. Le second projet lié de près à la BNB est la mise en place d’un e-learning.
Dans ce domaine, il s’agit de réfléchir sur les normes à adopter et sur la mise en place et le développement de plates-formes d’enseignement.
En un mot, gérer c’est prévoir. Nous voulons que la bibliothèque numérique amazighe tout comme le e-learning amazigh soient des réussites. Comme toute réussite exige des efforts, il ne faut plus lésiner de ce côté.