{{ {It Mag} : Quelle est votre appréciation sur le colloque ?}}
{Pr Dourari} : Le workshop, qui a duré deux journées, sans compter une journée de visites des sites touristique et culturel de la wilaya de Tipaza, a permis de faire l’état des lieux des connaissances et maîtrises du e-learning et de la numérisation en Algérie. A cette occasion, des Algériens ont communiqué avec des étrangers, surtout français, et ont discuté de plusieurs questions relatives à ce thème et souligné les possibilités en matière de coopération et de partenariat gagnant-gagnant entre l’Algérie et la France à travers les diverses institutions (MSH Paris Nord, Université Paris 08, Musée de Marseille), CNPLET, ONEF (MEN), Université de la formation continue en Algérie, université d’Alger (département de bibliothéconomie), Cerist… et laboratoires qui ont participé, tant algériens que français (LEDEN, Paragraphe P08, CNED). Sans omettre celles qui n’ont pas pu être parmi nous et qui ont manifesté ou manifesteraient la volonté de nous rejoindre.
La bibliothèque numérique berbère est un projet cardinal pour le CNPLET. Nous ferons tout pour sa réussite en partenariat avec la MSH Paris Nord. Nous avons déjà organisé une journée d’étude le 2 juin au Siège du CNPLET sur les corpus oraux et leur numérisation… J’ai le sentiment, par ailleurs partagé par les participants à ces workshops, de la réussite de cet événement scientifique et technique.
{{Quelles sont les conclusions de l’état des lieux sur l’usage des nouvelles technologies dans l’enseignement en Algérie ?}}
L’utilisation des TIC dans le système éducatif et universitaire reste anormalement très faible. Elle est due, me semble-t-il, à des défaillances dans le système lui-même qui ne se préoccupe pas de développer ou de changer quoi que ce soit. Aucune université ni établissement de recherche ou éducatif n’est soumis à l’obligation de résultat scientifique ou technique… de performance de ce type là… Il ne s’agit évidement pas d’un manque de savoir ou de savoir-faire, les personnes qui sont intervenues et ont communiqué avec les collègues français, qui sont d’ailleurs des personnes de premier ordre (voir comité scientifique du workshop sur le site du CNPLET (cnplet.org) et liste des participants), l’ont démontré avec brio. C’est une mentalité générale qui dépasse les individus ; les institutions algériennes tournent en rond… Elles ne se préoccupent pas de combler la fracture numérique… il n’existe pas de travail institutionnel horizontal, encore moins d’idée de mutualisation des savoirs et savoir-faire…
{{Quels sont les défis à relever et les difficultés qui entravent l’aboutissement des projets de e-learning et de bibliothèques virtuelles ?
}}
Tant qu’il n’y a pas d’éveil sérieux et structuré sur les dangers de la fracture numérique, mais aussi sur les avantages de la mutualisation des savoirs et des savoir-faire, rien ne sera sérieusement entrepris dans cette direction. Avec les TICE, il est possible de rendre disponible une grande partie de la documentation universitaire numérisée pour les étudiants et les chercheurs à moindre coût. Avec le e-learning, nous pouvons, nous qui manquons d’enseignants de qualité, utiliser plus rationnellement ceux qui sont là et diffuser, par exemple, le cours du même enseignant dans toutes les structures universitaires algériennes à la fois.
A condition bien sûr que la connexion Internet soit abordable pour ces franges de la société et que le coût des ordinateurs soit réduit, que la connexion ne soit pas si lente (128 kb), la plus lente de la planète… En fait si nous avons la volonté de faire, nous le ferons, et nous avons les moyens techniques, scientifiques et humains.
{{L’infrastructure existante répond-elle aux exigences de tels projets ?}}
Les universités et l’éducation dépensent un argent fou dans l’équipement informatique. Il est temps de leur demander ce qu’elles font avec, au regard de cette exigence de rattrapage de la fracture numérique. L’Etat dépense beaucoup d’argent dans les équipements éducatifs et universitaires, il est temps aussi de demander aux gestionnaires de ces équipements ce qu’ils ont intégré dans les structures à naître comme prise en charge de cette question. Il s’agit encore une fois d’une problématique de philosophie générale systémique et non pas de moyens techniques et de structures physiques même si ceux-ci comptent aussi…
{{Qu’en est-il du problème du choix de la transcription de tamazight ?}}
Dans cette perspective, cette question n’est pas vraiment pertinente. Les ordinateurs ne fonctionnent dans aucun caractère, même si le latin est plus normalisé. Le JTC1 SC36 de l’ISO a intégré les normes portant sur les caractères arabes et l’Unicode a intégré le caractère tifinagh.
Quoi qu’il en soit, techniquement il n’y a pas de problème insurmontable.
Nos voisins marocains sont un peu en avance par rapport à nous dans le domaine de la normalisation et ils ont déjà introduit une police open type dans le système ISO et Unicode. A quoi est dû ce retard chez nous?
Le fait d’introduire cette police n’est ni une révolution, ni quelque chose de monumental… Le fait qu’elle soit open type est intéressant car on peut ajouter des caractères et en dessiner d’autres… Le fait que les Marocains aient choisi le tifinagh ou le néotifinagh correspond au choix politique du Royaume chérifien de transcrire leur tamazight en ces caractères. Seulement, leur politique en la matière n’est pas nécessairement la meilleure ; elle connaît actuellement quelques difficultés. Quant à notre retard, il est lié au système institutionnel algérien. Deux départements universitaires de tamazight existent depuis 1990 à Tizi Ouzou et Béjaïa, un HCA existe depuis 1995, et ils n’ont rien fait en la matière.
{{Avez-vous des projets dans ce sens ?}}
Nos projets pour l’instant sont modestes. Il faut finir de structurer le centre. La lenteur des institutions algériennes en la matière est aussi grave que celle que nous avons décrite. On est à la quatrième année de lutte pour la classification du centre. Mais on est en train d’aboutir. Nous n’avons pas encore de chercheurs à plein temps au centre pour cette raison, et sans chercheurs, on ne peut rien faire. Pour l’Unicode, c’est déjà fait par les Marocains et on ne va pas le refaire. Mais on doit d’ores et déjà intégrer les structures de normalisation internationale pour défendre nos spécificités culturelles et linguistiques.
Nous avons poussé l’IANOR à demander l’adhésion de l’Algérie au SC 36, et grâce à cela, notre pays est National Body dans cette commission. Nous continuerons dans ce sens.
{{Y a-t-il un rapprochement ou un cadre de concertation entre les chercheurs algériens et marocains pour des normes communes ?}}
Les chercheurs en tant qu’individus, oui. Les institutions, non, et ce n’est pas faute d’avoir essayé de notre part. Il y a comme une volonté de défendre une position de leader dans le domaine du berbère de la part de l’IRCAM en liaison avec des considérations politiques et géopolitiques.
{{Qu’en est-il du cadre législatif pour les questions de propriété intellectuelle et de désinformation sur le net ?}}
C’est un problème général qui se pose en Occident aussi. Nous ne serons pas les seuls à essayer de le résoudre. C’est pour cela que nous avons essayé par tous les moyens d’intégrer dans nos démarches l’ONDA qui a freiné des quatre fers et ne voulait même pas entendre parler de notre workshop, alors que l’IANOR a participé par la personne de son directeur. Nous souhaitons pouvoir continuer notre travail de mutualisation des savoirs et savoir-faire tant entre les institutions spécialisées en Algérie qu’avec les partenaires étrangers, notamment français, afin de profiter réellement des avantages de la tendance mondiale à la numérisation.