Le marché de la téléphonie mobile en Algérie a connu un essor considérable ces dernières années. S’ils ne sont que trois opérateurs, un public (Mobilis) et deux privés (Djezzy et Nedjma) à proposer des prestations de services dans ce secteur, ils sont par contre de plus en plus nombreux entre grossistes, importateurs et vendeurs au détail d’appareils portables à verser dans cette activité devenue très rentable pour un potentiel de plus de 20 millions d’abonnés. Un marché qui brasse des millions de dollars annuellement.
{{Belfort ou l’illusion des bas prix}}
L’approvisionnement est assuré par des importateurs, en majorité des Algérois loin devant les Sétifiens. A priori, tout le monde trouve son compte. A priori seulement, car en fait ce sont surtout les grossistes achetant en grandes quantités qui font de bonnes affaires, et ce sont eux qui profitent des remises. «Pour la vente au détail, il n’existe pas une grande différence entre un magasin et un autre», nous dit-on. Chose que nous confirmons sans difficulté en comparant les prix de certains produits. Jugez-en de vous-même, un kit mains libres pour un portable Nokia 6230 est cédé à 350 DA à Belfort. Nous avons trouvé le même accessoire pour 300 DA dans une boutique du centre de la capitale.
Comme pour toute activité commerciale, les fluctuations des prix sont directement influencées par les spéculations des intermédiaires qui interviennent entre les importateurs et les acheteurs. Et le commerce du téléphone portable ne déroge pas à la règle. A Belfort, ces intermédiaires à l’esprit mercantile bien aiguisé déterminent indirectement la marge bénéficiaire sur chaque produit. «La marchandise est en règle générale importée de Chine via Dubaï et rarement d’origine. Les importateurs on ne les voit presque jamais, mais ils sont connus (?). Nous traitons surtout avec les intermédiaires», nous confie un vendeur sous le couvert de l’anonymat avant de préciser que «les grossistes qui entretiennent de bons rapports commerciaux s’entendent avec les intermédiaires qui sont les mieux servis en qualité et en quantité. Pour un même produit, les prix sont différents selon qu’il soit fabriqué dans le pays d’origine de la marque ou en usine délocalisée dans un autre pays en Chine ou en Europe de l’Est.»
«Un Nokia 1100 fabriqué en Finlande est beaucoup plus cher que le même produit en Chine», poursuit notre interlocuteur avant de préciser que «les portables proposés à la vente au marché de Belfort peuvent également provenir de la contrebande». En effet, le commerce «du cabas» des téléphones portables avec tous les risques encourus de saisie et de sanction pénale n’a pas dissuadé les trabendistes à tenter d’en introduire illégalement. Parfois, même les gros importateurs ne manquent pas d’ingéniosité pour contourner la réglementation régissant l’importation de ce type d’articles. Ce sont surtout des appareils haut de gamme ramenés d’Espagne, de France ou de Grande-Bretagne et destinés à une clientèle aisée qui transitent par les ports et aéroports algériens dissimulés dans des cabas sans passer par les services du fret. Le dédouanement des téléphones portables de dernière génération ne se fait que sur présentation d’une homologation délivrée en bonne et due forme par le ministère de la Poste et des Tic.
Vu la lenteur dans la délivrance du fameux sésame, 60 jours en moyenne, les «importateurs» préfèrent éviter de passer par la voie réglementaire en introduisant frauduleusement leurs marchandises dans «des cabas». Pour gagner du temps mais aussi pour éviter tout vol au niveau de la zone du fret. Des importateurs indélicats vont même jusqu’à falsifier ce document. Si certains arrivent à libérer leur marchandise grâce à la complicité des agents de certains services de contrôle aux frontières (police, douanes notamment), d’autres ne réussissent pas leur coup et sont pris dans les mailles du filet. Ainsi, plusieurs tentatives ont été déjouées ces derniers mois au niveau de l’aéroport Houari Boumediene grâce à la vigilance des agents des douanes où d’importantes quantités de portables ont été saisies. Il est vrai que «le marché est infesté de ces porteurs de cabas remplis de portables à ras bord et d’autres qui ont lancé des micro-entreprises pour se spécialiser dans l’importation de téléphones portables chez ceux qu’on appelle les dépackeurs», confie un investisseur pas découragé malgré tout par la tournure prise par le marché du portable, lui qui s’est lancé dans ce secteur il y a près de quatre ans, alors que le portable n’attisait pas encore les féroces appétits. Il ne fait aucun doute – et ce n’est un secret pour personne – qu’il y a beaucoup d’argent injecté dans le circuit de la distribution du téléphone mobile.
{{Produits d’origine, cabas et faux importateurs}}
A se fier aux confidences de ce professionnel, la perméabilité de nos frontières terrestres est apparue au grand jour. Il cite l’exemple de cette filière qui active à l’est du pays, dans les environs de Tébessa, ou encore à l’ouest, du côté de Maghnia, le paradis des trabendistes en tous genres, d’où on alimente le marché algérien de portables. Ce sont ces appareils, en grande partie, que vous retrouverez à Tizi Ouzou, Blida, Tiaret ou n’importe quelle autre ville d’Algérie. Et lorsque vous demandez un portable, le vendeur vous réplique : «Un portable avec ou sans boîte ?» Là, vous pouvez être sûr que votre appareil est arrivé en Algérie à dos d’âne ou grâce au cabas. Ceci pour les frontières terrestres. Toutefois, la plus prisée des voies d’approvisionnement, selon la même source, se trouve être, depuis quelques mois, celle de l’autre côté de la Méditerranée vers laquelle se sont orientés d’ingénieux importateurs, aussi bien de banals porteurs de cabas que des chefs d’entreprise dûment établis. Dans les grandes villes européennes, nos porteurs de cabas savent à qui s’adresser pour faire leurs très particulières emplettes.
C’est à partir de là que le prix du portable commence à prendre un coup. Ces mobiles sont donc acquis par nos importateurs, la plupart du temps en argent liquide, à des prix qui n’ont rien à voir avec ceux déclarés, mais n’atteignant jamais ceux des appareils affichés chez nous, chez les distributeurs ou les représentants agréés par les constructeurs de mobiles. C’est ainsi que chez nous, il est devenu tout à fait banal de voir des appareils aux logos du français SFR, de Vodafone ou encore de l’allemand T-Mobile et d’autres opérateurs accrochés au cou des badauds dans les rues de toutes les villes et villages d’Algérie. Une homologation pour des appareils déjà homologués. Ces appareils appartenant, donc, à des opérateurs bien identifiés se retrouvent comme par enchantement étalés dans des vitrines bien de chez nous.
Et, souvent, se plaint notre source, on se retrouve avec des appareils bien déterminés, catalogués et appartenant à un opérateur connu, donc homologués là-bas, et qui sont proposés à l’homologation par l’Autorité de régulation. Une virée dans un magasin El Kfel non loin de la Grande poste, très prisé par les clients et autres curieux, montre que ce dernier l’est car il est bien achalandé et propose une variété de marques de portables neufs et usagés. Ces derniers sont proposés sous la formule de l’échange contre des appareils neufs ou d’occasion. Selon le gérant de la boutique, tous les portables en vente sont des marques d’origine. «Nous avons une clientèle exigeante dont beaucoup nous sont fidèles depuis 7 ans. Ce qui ne nous permet pas de ramener des sous-marques. Tous nos produits sont homologués avec une garantie. Cela va de l’image de marque de notre magasin, et notre politique est de satisfaire et de fidéliser notre clientèle», lâche en substance notre interlocuteur. El Kfel met en vente pratiquement toutes les marques connues avec leurs différentes séries, à savoir Nokia, Samsung, Sony Ericsson, Motorola, LG, Alcatel, Vodafone. En comparant les prix des portables avec ceux proposés ailleurs, il faut dire que le magasin El Kfel propose des prix très abordables. D’où le flux incessant constaté au niveau de cette boutique. Là aussi, on y trouve même les bonnes affaires en matière de portables d’occasion. Selon notre interlocuteur, beaucoup de gens parmi les clients viennent proposer des portables d’occasion pour les échanger soit par le même type, soit pour s’en acquérir un neuf dont le prix est plus ou moins équivalent en ajoutant la différence. Quant à notre question de connaître le coût d’investissement au vu de la quantité de marchandises disponibles dans la boutique, notre interlocuteur n’a pas jugé utile de divulguer un quelconque chiffre, encore moins celui du chiffre d’affaires, dans la mesure que cela relève d’un secret professionnel. Quant au nombre de vente de la marchandise, celui-ci est variable selon les périodes ou les humeurs des clients. Néanmoins, El Kfel s’approvisionne selon la demande de sa clientèle qui touche aussi les entreprises publiques et privées sans que le gérant ne les cite. Par ailleurs, il nous apprend que le magasin est constamment approvisionné en tous genres de produits accessoires pour les téléphones portables dont les prix sont accessibles à toutes les bourses.