20 avril 2024

Harragas première classe

Faut-il définitivement désespérer de tout dans ce pays ? Répondre oui en ces temps de soupçon rampant et d’incertitude généralisée risque d’aggraver un tableau déjà bien peu reluisant et, pis, d’étouffer l’espoir de jeunes générations qui ne rêvent plus que de brûler les frontières et de sombrer dans des exils qui n’ont d’horizon que les centres de rétention, une clandestinité à perpétuité ou une vie de soutiers et de déclassés dans des sociétés pour qui l’étranger est une étrangeté.
Répondre non, ce n’est pas, non plus, sérieux ni même honnête. Au mieux, c’est comme cacher le soleil sous le tamis et se prendre une méchante insolation. Au pire, c’est faire comme l’autruche, la tête au sol jusqu’au tronc et le postérieur en l’air et dans les cymes. Entre les deux, on le devine, il n’y a que du mauvais et c’est soit fuir, soit se résigner, bannière au vent, à de dangereux menteurs et à des slogans qui ne durent pas plus longtemps qu’une moitié de saison.
Que faire alors ? Comme la fuite, la résignation et le désespoir se nourrissent avant tout de promesses non tenues et de mots creux, il faut supplier ceux qui les tiennent d’être à l’avenir prudents et les conseiller d’être modestes et de ne pas trop parler quand ils ne sont pas sûrs de ce qu’ils disent ou de ce qu’ils avancent. Les préposés aux discours officiels, en particulier ceux qui pontifient sur la promotion du capital humain et du savoir, quand ils osent prendre de notre temps et accaparer notre attention, doivent être soumis à l’épreuve du bilan et au devoir d’inventaire surtout. Cela évitera au moins la lassitude du déjà-vu, déjà-entendu et bien des bégaiements sur des sujets qui ne tolèrent pas la plaisanterie et encore moins la parole légère.
Un exemple : combien de fois a-t-on parlé en haut lieu et en fanfare de la nécessité de solliciter les compétences nationales résidant à l’étranger et les impliquer dans la recherche et l’innovation de pointe en Algérie ? Les quadra et les trentenaires précoces se souviennent que c’est une musique qu’on entendait au temps antique de l’ancien chef de l’Etat Chadli Ben Djedid. Les plus de vingt ans s’en rappellent lorsqu’on évoque l’ancien président Zeroual. Et les plus jeunes savent que, sous le président Bouteflika, des messes ont, à ce sujet, été organisées et que des ministres ont été chèrement nommés pour constituer et suivre un «fichier» des talents algériens expatriés.
Toujours bombardées, les trois générations savent que, depuis, le poste de ministre chargé de la communauté algérienne à l’étranger, et donc du dossier des universitaires et des chercheurs nationaux ou binationaux établis à l’étranger, a été supprimé sans la moindre explication. Ils n’ignorent pas non plus que des dizaines de chercheurs algériens dans des domaines dits «pointus» ont quand même cru au miracle et tenté leur come-back mais ont fini par reprendre leurs bagages bourrés d’amertume et d’histoires invraisemblables sur les moyens de les payer et de les loger.
Un dessein stratégique qui concerne au passage des secteurs non moins stratégiques comme les technologies de l’information et de la communication s’est alors mû en mythe. Aucun ministre impliqué de près comme de loin n’a par ailleurs cru bon récemment de rouvrir son bloc-notes et d’informer l’opinion sur le recrutement annoncé des talents algériens qui sont à la Silicon Valley ou dans les grandes universités et écoles européennes et d’Asie.
Les faits, quant à eux, sont têtus. Et les indications les plus fraîches ont été données par le Forum des chefs d’entreprise (FCE) qui constate que depuis dix ans, plus de 40 000 chercheurs ont quitté l’Algérie dont plus de 3 000 pour les Etats-Unis et les laboratoires de recherches américains. Elles sont fournies aussi par le ministre de l’Energie et des Mines, M. Khelil, qui disait, il y a peu, que son secteur perdait chaque année des dizaines de cadres supérieurs, et par le syndicat des enseignants du supérieur, le CNES, qui ne
cesse de tirer la sonnette d’alarme en rappelant les conditions déplorables et quasi ouvrières dans lesquelles vivent beaucoup de chercheurs universitaires et qui les poussent, tel un puissant moteur, à quitter massivement le pays. Vous aviez dit harragas ?
De première classe, oui.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *