2 octobre 2023

Commerciaux, voleurs et receleurs

Le lieu-dit «Zouia», situé dans l’extrême nord-ouest de Tlemcen, est devenu l’un des plus grands marchés des mobiles dans l’Ouest algérien pour les clandestins et une base de repli pour les grossistes de mobiles de Tlemcen.
Depuis environ trois ans, un grand marché de téléphones portables s’y est développé. En dehors des boutiques régulièrement installées l’une à côté de l’autre dans une ruelle étroite et mouvementée, on y trouve des vendeurs à étalage proposant une gamme diversifiée de produits moins chers par rapport à ceux vendus par les distributeurs officiels ou par les représentants des grandes marques de terminaux mobiles. Ce qui, d’ailleurs, a fait sa réputation. Elle est présentement l’une des destinations privilégiées des vendeurs de mobiles et d’accessoires.
Un récent bilan de la seule Sûreté de daïra dénote que cette tendance prend de l’ampleur et qu’elle est venue s’abouter avec le reste des fléaux que la situation frontalière engendre et contre laquelle le corps des gardes-frontières s’attèlent pour la freiner.
Ce commerce constitue aujourd’hui une véritable escarcelle pour tous les vendeurs de téléphones portables en Algérie, car désormais les grossistes de «Maghnia» approvisionnent plusieurs régions du pays en téléphones portables. Ces magasins proposent des mobiles importés frauduleusement dans des cabas du Maroc via les frontières terrestres. Ces produits ne sont pas déclarés au niveau de la douane et échappent au contrôle du fisc. Ils sont importés généralement par des tierces personnes qui les transmettent ensuite aux grossistes ou bien à dos de mulets, qui sont guidés par un baladeur CD ou un Walkman placés à leurs oreilles.
Ces derniers maîtrisent parfaitement le moindre détail sur les téléphones mobiles commercialisés dans leurs magasins. Ils sont bien informés sur les dernières innovations technologiques de Nokia, Samsung et Motorola. A côté de ce commerce informel, le marché algérien est inondé, ces dernières semaines, de téléphones portables portant le label d’opérateurs étrangers tels que l’anglais Vodafone, la marocain Méditel, l’espagnol Amena et l’allemand T-Mobile.
Les portables portant le «sceau» de ces opérateurs sont ce qu’on appelle communément des appareils flashés, soit ici en Algérie soit à l’étranger, avec des logiciels informatiques qui ne sont pas actualisés ou adéquats. Ces portables sont écoulés par ces grossistes à des prix deux fois, voire trois fois moins chers que ceux des distributeurs officiels activant sur le marché national. Ces portables sont vendus sans aucune garantie puisqu’ils sont, dans la plupart des cas, bloqués ou présentent des dysfonctionnements au niveau notamment de l’écran, du clavier, du réseau et de la carte mère. Donc, ces téléphones deviennent inutilisables et ne peuvent tenir au-delà de trois mois sans défaut. Les produits importés peuvent être des téléphones portables rénovés, en panne ou flashés. D’ailleurs, en visitant un magasin, nous avons trouvé une personne en train de se plaindre d’une panne dans son téléphone portable acheté il y’a même pas une semaine avec le propriétaire qui indique qu’il n’est pas responsable et qu’il ne peut rien faire.
Certains distributeurs étrangers agréés en Algérie importent des mobiles destinés au marché tunisien vers l’Algérie par voie terrestre sans payer aucune charge fiscale ou douanière et écoulent ces produits sur le marché national à des prix minimes. Cette activité informelle exercée par des distributeurs étrangers possédant des sociétés de droit algérien n’apporte aucun plus fiscal au Trésor public. Pis, ces distributeurs font une concurrence déloyale aux distributeurs algériens représentants de grandes marques de constructeurs de téléphones portables et échappent au contrôle du fisc puisqu’ils ne payent aucune charge et transfèrent directement leurs bénéfices vers leurs pays d’origine. De même, il y a certains importateurs qui utilisent les frontières terrestres marocaines pour importer non seulement des mobiles mais des packs complets de l’opérateur privé Méditel composés de téléphones mobiles et de puces prépayées dont la durée de validité est d’une année. Ces packs sont vendus à des prix plus bas que ceux des opérateurs algériens et sont utilisés principalement dans les villes frontalières telles que Maghnia et Tlemcen.
Habituellement, ces téléphones apparaissent en période de pénurie. Spontanément, les prix deviennent alors très élevés et, littéralement, «anormaux». En général, le pouvoir politique intervient pour bloquer les prix et organiser des circuits de distribution spéciaux (rationnement), mais dans notre pays, ce n’est pas le cas. Ce qui a poussé, bien sûr, les vendeurs à chercher un débouché plus lucratif : le marché noir. On notera que même en l’absence d’une telle intervention, les vendeurs n’ont plus besoin de s’afficher publiquement, et cela devient même risqué pour eux ; toutefois, on ne qualifie pas cette situation de marché noir : les opérateurs ne courent pas les mêmes risques (légaux) et n’ont pas besoin de s’associer à d’autres activités illégales.
Un marché noir relève généralement du secret de Polichinelle : tout le monde sait qu’il existe, tout le monde l’alimente (soit comme acheteur, soit comme vendeur). Et c’est évidemment de notre faute en tant qu’acheteurs de ne pas réfuter cette marchandise.
Aussi, l’une des grandes «hâbleries» ne venant pas de notre part, c’est lorsque la fraction des marchandises prévues pour le marché officiel est détournée vers le marché noir, avec des complicités internes souvent à haut niveau ; cela accroît la pénurie et fait monter les prix au marché noir pour le plus grand profit des organisateurs.
Pour mieux appréhender ce problème, nous avons visité les lieux et c’est ce qu’un des vendeurs vient de nous affirmer : «La police vient de m’arracher un sac rempli de portables et de chargeurs d’une valeur totale de 100 000 DA. On nous demande de partir d’ici. Mais où pourrions-nous aller ?», se plaint l’un des nombreux vendeurs de téléphones pourchassés.
Dépité, le gaillard ne sait plus où donner de la tête. «C’est ici que nous gagnons notre pain et j’ai toute une famille à nourrir», continue-t-il.
«Au carrefour ‘‘Zouia’’, on a plusieurs catégories de clandestins. Les commerciaux travaillent pour les différentes boutiques et gagnent 200 DA par client. Ensuite, viennent les receleurs chargés de revendre les téléphones volés. Puis les réparateurs de téléphones, chargés de remettre en marche des téléphones qui sont par la suite revendus. Au bout de la chaîne, on a les vendeurs d’accessoires de téléphones. Les téléphones neufs et de bonne qualité proviennent en majorité du Maroc et de d’Espagne», explique un «tacleur». Et de poursuivre : «Des téléphones volés par les ‘‘enfants de rue’’ sont récupérés et proposés aux clients. Un téléphone acheté à 15 000 DA peut être revendu à 20 000 DA, voire plus si le client se laisse berner. Les bénéfices sont importants quand la ‘‘marchandise’’ est écoulée. Mais depuis quelque temps, il y a baisse d’activité. Les clients ont peur de venir parce qu’il y a la police.» Le manque à gagner se fait sentir. C’est le cas de Mohamed : «Je réactive le téléphone à 400 DA. Depuis quelque temps, je ne gagne plus rien. Or, en période normale, je faisais des recettes de deux à trois mille dinars.» Les «tacleurs» ? «Ils empêchent les clients de se retrouver dans la boutique, en leur proposant des pacotilles», explique un propriétaire à proximité du centre-ville de Tlemcen où les «maquignons» se donnent rendez-vous. Un téléphone de grande valeur en boutique est ainsi proposé à vil prix dehors. Quelques jours après, il ne fonctionne plus. Depuis la ronde de la police, les propriétaires de boutiques rentrent vraiment dans leurs comptes. Linda, une cliente, partage le même avis : «Il faut que ces gars partent. En septembre, j’ai acheté un téléphone de marque Siemens dans une boutique ici. A peine sortie, on me l’a arraché.» Elle ne l’a jamais retrouvé. Pour l’instant, vendeurs sur trottoirs et policiers jouent au chat et à la souris
Les «maquignons» se cachent à l’arrivée de la police. Et lorsque celle-ci quitte les lieux, ils exercent librement leur activité. Ces places commerciales constituent aujourd’hui de véritables plaques tournantes du mobile. Or, en l’absence d’association de défense des consommateurs et de mécanismes de contrôle du marché de la téléphonie mobile, il est vraiment difficile de mettre un terme au commerce informel qui se développe davantage en Algérie.

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