{{ {IT Mag} : Les entreprises algériennes semblent prendre conscience de l’intérêt de se doter d’outils technologiques et de se mettre à niveau de façon générale. Est-ce que cette prise de conscience a été suivie par des actions concrètes à votre avis ? Où en sont les choses actuellement ?}}
{{ {M. Abdelhamid Mezaache} }} : De mon point de vue, la situation diffère, aujourd’hui, d’une entreprise à l’autre suivant sa taille et son statut. Il est vrai que dans le secteur public, il y a beaucoup plus d’entreprises qui ont pris conscience de l’importance de la mise à niveau en comparaison avec le secteur privé. Nombre de sociétés appartenant au secteur public étaient déjà conscientes de l’importance de l’outil informatique et de la technologie de manière générale. Malheureusement, elles ne disposaient pas des moyens leur permettant de se moderniser et, de plus, ces sociétés attendaient les résultats de l’opération de privatisations qu’a connues le pays à partir de la dernière décennie.
En ce qui concerne le secteur privé, celui-ci n’a pris conscience de l’importance de la modernisation des outils de production qu’à travers la politique nationale de mise à niveau engagée par les pouvoirs publics. Cependant, le rythme de l’opération de mise à niveau reste assez lent. De plus, cette opération n’est censée toucher que les entreprises industrielles exportatrices. Cette politique de mise à niveau devait, à mon avis, toucher l’ensemble des entreprises afin de pouvoir moderniser l’ensemble du secteur économique national. Le rythme de la modernisation des entreprises algériennes est donc assez lent en raison, entre autres, de la lourdeur des procédures de mise à niveau. De nombreuses entreprises sont en outre méfiantes vis-à-vis de l’Etat et ne semblent pas être très enthousiastes quant à la politique de mise à niveau initiée par les pouvoirs publics.
{{Concrètement, comment définiriez-vous une opération de mise à niveau d’une entreprise ?}}
La mise à niveau signifie la modernisation des moyens de production des entreprises en allant de façon réelle vers le monde de l’électronique et de la technologie. D’autre part, il s’agit, pour ces entreprises, de moderniser leurs méthodes de gestion car cet aspect représente aujourd’hui le principal facteur de compétitivité pour une entité économique.
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Vous avez parlé de lenteurs dont souffrent les entreprises algériennes en matière de mise à niveau. Qu’entendez-vous à ce propos ?}}
Ces lenteurs sont le fait des organismes devant agréer les dossiers présentés par les entreprises dans le cadre de l’opération de mise à niveau. L’agrément est supposé être délivré soit par un comité siégeant au niveau du ministère de la PME soit au niveau du ministère de l’Industrie, où siège un comité interministériel. En général, l’entreprise doit attendre six mois avant l’obtention de son agrément. D’un autre côté, les entreprises ayant acquis des équipements dans le cadre de cette opération doivent attendre longtemps avant de se voir remboursées suivant ce que prévoit la procédure. Toutes ces lenteurs sont bien évidemment de nature à décourager les entreprises les plus enthousiastes.
Par ailleurs, les entreprises qui ne désirent pas être assistées dans leur opération de mise à niveau doivent être prêtes à effectuer de lourdes dépenses. Toutes ces entraves ne donnent pas la possibilité à notre secteur économique de se mettre à niveau à un rythme acceptable, ce qui fait que les entreprises algériennes risquent de ne pas être au rendez-vous lorsque nos frontières seront ouvertes à la faveur de l’adhésion de notre pays à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) et de la mise en application des accords d’association avec l’Union européenne.
{{Pouvez-vous nous donner une idée sur les dépenses nécessaires à la modernisation d’une entreprise algérienne, en dehors du programme de soutien de l’Etat ?}}
Le coût de la mise à niveau d’une PME par rapport à son chiffre d’affaires doit se situer entre 200 et 300%. Ce coût relativement élevé s’explique par le fait que les équipements entrant dans le cadre de l’opération de mise à niveau sont censés être importés. De manière générale, 80% des dépenses à effectuer concernent les équipements. Le coût des équipements informatiques et technologiques mais aussi les autres aspects liés à la formation et la gestion varie selon la taille et les besoins de l’entreprise. Globalement, cela nécessite des dépenses variant entre 10 et 50 millions de dinars. Je signale aussi qu’une opération de mise à niveau nécessite, en moyenne, une période de deux ans.
{{Le coût relativement élevé de la mise à niveau d’une entreprise ne représente-t-il pas un défi difficile à relever en soi ?}}
La mise à niveau d’une entreprise représente un défi en matière de dépenses mais c’est aussi un défi en ce qui concerne le changement de mentalités car la mise en place d’équipements modernes nécessite immanquablement une mentalité moderne. Cette nouvelle mentalité doit être le fruit de la formation des personnels.
{{Que pouvez-vous nous dire justement au sujet de la formation au niveau de nos entreprises ?}}
La formation reste très insuffisante. Ce qui serait souhaitable, c’est que l’Etat prenne en charge la question de la formation sans pour autant être obligé de garantir un financement aux entreprises intéressées par la formation de leurs cadres. L’idéal serait que les pouvoirs publics organisent, dans différentes wilayas du pays, des séminaires et autres rencontres du même genre afin de former des professionnels appartenant à différents secteurs d’activité. Ces séminaires pourraient être facturés à 20% de leur coût, par exemple, afin de faire en sorte que les formations ne soient pas trop élevées pour les bénéficiaires. Ces séminaires pourraient, en fait, être organisés par des chambres de commerce, des instituts ou des universités. Tout ceci exige, bien sûr, des programmes et une organisation extrêmement sérieuse. Actuellement, certaines actions sont menées dans ce sens mais n’ont pas encore d’impact réel sur le terrain. Le rôle de l’Etat est très important dans le domaine de la mise à niveau des entreprises car, en fin de compte, il est gagnant dans cette opération.
{{Avez-vous une idée sur l’état d’avancement de l’opération de mise à niveau des entreprises algériennes et quelles sont les catégories d’entreprises devant être mises à niveau de façon prioritaire ?}}
Jusqu’à présent, 325 entreprises auraient été mises à niveau. Mais on n’en parle pas beaucoup actuellement car il ne se suffit pas de les mettre à niveau. Il faut suivre leur évolution sur le terrain pour avoir une idée sur les résultats réalisés et savoir quelles mesures prendre pour corriger les erreurs commises.
Sur un autre plan, il faut prendre en considération le fait qu’il existe trois catégories de PME. Il s’agit d’abord des petites et très petites entreprises dont le nombre d’employés se situe entre 1 et 10, ensuite celles qui emploient entre 10 et 50 personnes. La dernière catégorie est celle des entreprises employant 50 à 200 personnes. A mon avis, il faut donner la priorité aux entreprises employant plus de 10 personnes car, en général, celles-ci sont déjà assez bien structurées. Il faut aussi connaître l’âge des entreprises à mettre à niveau. De mon point de vue, ce sont les entreprises ayant plus de 5 ans d’âge qui sont les plus concernées par d’éventuelles opérations de mise à niveau.
En outre, il est urgent de mettre à niveau les entreprises directement touchées par la concurrence étrangère. Il est question des entreprises opérant dans le secteur du textile et le secteur manufacturier. Ces entreprises ont aujourd’hui besoin d’un plan d’urgence de mise à niveau et de sauvetage car elles sont en train d’étouffer et sont menacées de disparition.
{{Pensez-vous que les autorités réalisent la menace qui pèse sur ce genre d’entreprises ?}}
Je ne crois pas. Mais il faut attendre et voir la suite des événements car le gouvernement a annoncé la mise en place d’une nouvelle stratégie industrielle. Nous devons donc attendre pour voir ce que prévoit cette nouvelle stratégie.
{{Quels conseils donneriez-vous à un chef d’entreprise désirant mettre à niveau sa structure sans l’intervention de l’Etat ? Quelles sont les étapes qu’il devrait suivre ?}}
La première étape consiste à recourir à des experts. Ces derniers devront diagnostiquer de façon détaillée l’état de l’entreprise à mettre à niveau. Ces experts sont supposés étudier à la fois la situation des outils de production, de son système de management mais aussi du marché dans lequel elle évolue. Les recommandations de ces experts permettront ensuite au chef d’entreprise d’engager un plan de mise à niveau. Ce plan va comporter plusieurs aspects tels que la rénovation des équipements, le recrutement de personnel ou la formation de ses cadres en même temps que l’installation des nouveaux équipements. La dernière étape consiste à moderniser l’ensemble des méthodes de gestion au niveau de l’entreprise.
Il ne faut pas oublier que la mise à niveau n’est pas uniquement le fait des entreprises. L’Etat doit également engager des actions de nivellement dans les services publics, les administrations, les banques et autres afin de permettre aux entreprises mises à niveau d’évoluer dans un environnement adéquat.