22 mars 2025

L’Internet mondial : quelles perspectives pour demain ?

Dans l’exercice de ses fonctions, le GTGI, s’appuyant essentiellement sur les principes de base du SMSI, a notamment accordé une très grande importance au principe qui consiste à garantir le fonctionnement stable et sécurisé de l’Internet. Il est parvenu à la conclusion qu’il y a lieu d’apporter des modifications aux mécanismes existants de gouvernance de l’Internet pour les rendre plus conformes aux critères définis au terme de la première phase du Sommet mondial sur la société de l’information (SMSI-1). Dans son rapport final publié à la mi-juillet 2005, le GTGI propose la création d’un nouveau forum international ouvert à la participation, sur un pied d’égalité, des Etats, du secteur privé et de la société civile. Les membres du groupe n’ont toutefois pas pu s’entendre sur un modèle spécifique de réforme institutionnelle et ont proposé quatre modèles envisageables pour la poursuite des travaux dans le cadre de la seconde phase du SMSI (voir annexe).
La déclaration de principes publiée à l’issue de la première phase du SMSI tenue à Genève en décembre 2003 affirmait que l’Internet étant devenu une ressource publique mondiale, sa gouvernance devrait être un point essentiel de l’ordre du jour de la société de l’information. Elle énumérait ensuite les critères applicables à la gestion internationale de l’Internet : celle-ci devrait s’exercer de façon multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales. Cette gestion devrait permettre d’assurer cette répartition équitable des ressources, de faciliter l’accès de tous et de garantir le fonctionnement stable et sécurisé de l’Internet, dans le respect du multilinguisme.
La liste des priorités pour la seconde phase du SMSI
Le rapport du GTGI propose à l’attention de la seconde phase du SMSI une liste de thèmes considérés comme présentant le plus haut degré de priorité. Ces thèmes sont les suivants : administration des fichiers de la zone racine et du système de serveurs racine, tarifs d’interconnexion, stabilité, sécurité de l’Internet et cyberdélinquance, pollupostage, véritable participation à l’élaboration d’une politique mondiale, renforcement des capacités, attributions des noms de domaine, attribution des adresses IP, droits de propriété intellectuelle, liberté d’expression, protection des données et respect de la vie privée, droits du consommateur et multilinguisme.
Gouvernance de l’infrastructure logique de l’Internet
La gouvernance de ressources d’importance critique repose sur divers contrats et accords qui remontent aux premières années d’existence de l’Internet et qui ont évolué avec ce réseau. En conséquence, divers mécanismes et organismes sont intervenus ou se sont adaptés pour traiter des nombreuses nouvelles questions liées à la gouvernance de l’Internet. En ce qui concerne la gestion de la gouvernance des noms de domaine, les principaux organismes sont l’Internet Corporation for Assigned Names and Numbers (ICANN) et des organisations placées sous son égide, par exemple le Comité consultatif gouvernemental (GAC). L’IUT est chargé par ses Etats membres de participer aux travaux sur la «gestion des noms de domaine et des adresses Internet».
Pour des raisons historiques, avec le système actuel de gouvernance, un seul gouvernement (le gouvernement des Etats-Unis) est en mesure d’autoriser une modification des fichiers de la zone racine -le fichier de base contenant des pointeurs pour nommer les serveurs pour tous les domaines de premier niveau- c’est-à-dire les noms de domaine de premier niveau générique, tels que «.com», «.int», «.net», «.org» et «.info», ainsi que les noms de domaine de premier niveau de code pays, par exemple «.ch» ou «.dz».
Le système actuel repose principalement sur la confiance, et non sur un traité. Certains font valoir qu’avec ce système, la participation des Etats pour autoriser des modifications, des adjonctions ou des suppressions se limite à celle d’un seul gouvernement, qui n’a pas de relation contractuelle avec d’autres en ce qui concerne l’exécution de cette fonction.
Les avis divergent sur la question de savoir si les noms de domaine sont attribués de manière conforme aux principes énoncés par le SMSI. Selon d’aucuns, les Etats ne sont pas officiellement habilités à participer à la prise de décisions au sein de l’ICANN et le processus ne peut donc être considéré comme étant pleinement démocratique. Selon certains, la seule manière d’y parvenir serait de le placer sous l’autorité d’un organisme international. D’après d’autres, l’approche multi-partie prenante adoptée par l’ICANN est tout à fait adaptée à l’Internet tel qu’il existe aujourd’hui et tel qu’il existera demain.
Plusieurs problèmes se posent au sujet des noms de domaine ccTLD (cc : country code). Certains s’inquiètent de l’inadéquation des dispositifs officiels prévus dans les documents existants de l’ICANN et exigeant la signature de mémorandums d’accord entre l’ICANN/IANA (Internet Assigned Numbers Authority) et les registres de noms de domaine ccTLD. En règle générale, ces dispositifs sont stables et donnent satisfaction. Autre difficulté : l’application des décisions relevant de la souveraineté nationale à la gestion des noms de domaine ccTLD évolue et, pour certains de manière problématique.
(Suite en pages 12 et 13)
(Suite de la page 11)
Les principes et lignes directrices fixés par le GAC pour la délégation et l’administration des noms de domaine de premier niveau de code pays (appelés plus simplement les principes du GAC) «encouragent vivement» à «administrer les noms de domaine ccTLD dans l’intérêt public, et dans le cadre de la politique publique nationale et des législation et réglementation adaptées». Ces principes précisent en outre que le gestionnaire des noms de domaine ccTLD est tenu de servir la communauté de l’Internet au niveau local et au niveau mondial. Pour certains Etats, il s’agit là d’une orientation claire et pertinente, tandis que d’autres sont d’un avis contraire. Quoi qu’il en soit, le GAC n’a pas de pouvoir de décision et ne peut définir de politiques. Là encore, les avis divergent sur la question de savoir si les limites de souveraineté nationale en rapport avec la délégation et la re-délégation des noms de domaine ccTLD sont clairement établies. Selon certains, il faudrait prévoir des dispositifs officiels internationaux pour la délégation et la re-délégation de ces noms de domaine. Selon d’autres, les principes du GAC et le document sur les meilleures pratiques de la communauté en matière de délégation et de re-délégation des noms de domaine ccTLD constituent des lignes directrices utiles. A suivre ces principes, les cas de re-délégation de la gestion des noms de domaine ccTLD doivent être résolus à l’échelle nationale et conformément à la législation nationale, compte tenu des opinions de toutes les parties prenantes locales et des droits applicables au registre existant des noms de domaine ccTLD.
En ce qui concerne les noms de domaine gTLD (g : code générique), certains se demandent si on utilise pour les attribuer ou les re-attribuer la méthode optimale. Ils mettent aussi en doute le niveau de la concurrence sur le marché du registre des noms de domaine, toujours dominé par un grand concurrent qui contrôle plus de 50%, les autres concurrents n’étant installés que dans un petit nombre de pays. Ils font également observer le flou du statut du TLD «.int», pour lequel le projet de transfert à une organisation placée sous l’égide de Nations unies a déjà été reporté à plusieurs reprises.
Selon certains, s’il n’a pas été tenu compte de ces préoccupations, c’est parce que le pouvoir de décision au sein de l’entité qui s’occupe de la politique des noms de domaine de premier niveau générique «gTLD» est concentré dans les mains du secteur privé, tandis que les utilisateurs n’ont à jouer qu’un rôle minoritaire et que les Etats ne jouent aucun rôle direct. En outre, de nombreux éléments du secteur au sein de cette entité sont dominés par quelques représentants des grands concurrents provenant d’un petit nombre de pays.
Dans son rapport, le GTGI conclut à la nécessité d’élaborer de nouvelles politiques et procédures applicables aux noms de domaine gTLD. Il conclut également à la nécessité d’élaborer de nouvelles politiques en matière de gestion et d’élargissement du nombre des noms de domaine, ce qui, en raison de la complexité inhérente à la question, a des répercussions importantes sur des questions fondamentales comme la répartition équitable des ressources, l’accès universel et le multilinguisme.
Les politiques en matière d’attribution des adresses IP suscitent également des inquiétudes. Pour des raisons qui tiennent à l’histoire de l’Internet, l’attribution des adresses IPv4 est déséquilibrée. Ce problème a déjà été abordé dans le cadre des registres Internet régionaux (RIR) mais compte tenu du passage à la version IPv6, certains pays estiment que les politiques d’attribution des adresses Internet devraient garantir l’accès aux ressources sur une base géographique équilibrée.
Il est nécessaire d’entreprendre des études, par exemple pour revoir l’équilibre et les rôles de trois groupes de parties prenantes (Etats, secteur privé et société civile) dans la structure de la gouvernance de l’Internet et l’élaboration d’une politique. Selon le rapport, ces études devraient porter, entre autres, sur la structure de la gouvernance de l’ ICANN et des autres organisations pouvant participer à la gestion des ressources d’importance critique. Parvenir à un bon équilibre reviendrait à reconnaître le rôle utile joué en permanence par les communautés universitaires et techniques pour assurer la stabilité, la sécurité, le fonctionnement et l’évolution de l’Internet, par l’établissement de relations approfondies avec tous les groupes de parties prenantes et au sein de ces communautés.
Mesures proposées : le dialogue passe par un forum mondial de toutes les parties prenantes
Le GTGI constate qu’il n’existe pas de forum mondial où toutes les parties prenantes puissent débattre de questions politiques générales relatives à l’Internet. Pour remédier à cette lacune, il conclut qu’il serait bon d’ouvrir un espace ou un forum propices à un tel dialogue, dans lequel on pourrait aussi aborder les nouvelles questions multisectorielles et pluridimensionnelles, ainsi que les questions qui soit concernent plus d’une institution, soit ne relèvent d’aucune institution, soit encore ne sont pas traitées de manière coordonnée.
L’une des priorités absolues du GTGI est de contribuer à faire en sorte que toutes les parties prenantes des pays en développement participent effectivement et utilement aux mécanismes de gouvernance de l’Internet. Ces pays ont besoin de renforcer leurs capacités pour utiliser l’Internet et participer à sa gouvernance. Les institutions existantes qui s’occupent de questions de politique publique liées à l’Internet, telles que l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), ne comptent généralement pas tous les pays parmi leurs membres, si bien que les nations en développement n’ont de tribune où débattre de ces questions. D’autres institutions qui sont, elles, de portée mondiale, ont des centres d’intérêt plus étroits ou ne prévoient pas la participation de multiples parties prenantes. En outre, les mécanismes existants ne tiennent pas suffisamment compte de l’équilibre géographique et de la diversité linguistique. Leur caractère et leur structure fragmentés rendent également plus difficile pour les pays en développement de faire entendre leurs voix.
De l’avis du GTGI, ce projet de forum devrait rassembler, sur un pied d’égalité, toutes les parties prenantes des pays en développement et des pays développés. La parité des sexes devrait être considérée comme un principe fondamental, l’objectif étant de parvenir à une représentation égale des hommes et des femmes à tous les niveaux. Il faudrait veiller tout particulièrement à ce que la participation soit très diversifiée en ce qui concerne notamment la langue, la culture et la branche d’activité, ainsi que la collaboration des peuples autochtones, des personnes handicapées et d’autres groupes vulnérables.
Ce forum devrait (de préférence, selon les auteurs du rapport) être lié à l’ONU, d’une manière qui reste à définir. De l’avis du GTGI, il serait mieux placé que les institutions Internet existantes pour encourager les pays en développement à participer à un dialogue sur les mesures à prendre. C’est là un avantage important en soi, dans la mesure où c’est surtout dans ces pays que l’Internet est appelé à se développer.
Toute partie prenante, de quelque pays que ce soit, devrait avoir la possibilité d’engager, dans le cadre de ce forum, le dialogue sur toute question relevant de la gouvernance de l’Internet. Ce forum serait renforcé par des initiatives régionales, sous-régionales et nationales et complété par des mécanismes en ligne ouverts et participatifs. Il appuierait le programme des technologies de l’information et de la communication au service du développement (ICT4D) qui découle des processus du SMSI et de la réalisation des Objectifs du Millénaire pour le développement. Il pourrait notamment avoir les fonctions suivantes : assurer la liaison avec les organes intergouvernementaux et d’autres institutions pour les questions relevant de leur compétence qui ont trait à la gouvernance de l’Internet, comme le droit de propriété intellectuelle, le commerce électronique, les échanges de services et la convergence entre l’Internet et les télécommunications, examiner les questions qui ne sont pas abordées ailleurs et, le cas échéant, formuler des propositions d’action ; recenser les nouvelles questions, les porter à l’attention des organes compétents et faire des recommandations, mettre en liaison différents organes associés à la gestion de l’Internet si nécessaire, contribuer au renforcement des capacités en matière de gouvernance de l’Internet dans les pays en développement, en s’appuyant pleinement sur les sources de savoir et de compétences locales ; promouvoir la consécration des principes du SMSI dans les processus de gouvernance de l’Internet et l’évaluer régulièrement.
Le rapport précise bien que ce projet de forum de devrait pas être perçu comme étant une prolongation du GTGI mais qu’il devrait plutôt être créé sur le modèle des consultations ouvertes de ce dernier, soutenu par une structure très légère et orienté par un processus de coordination associant différentes parties prenantes, qui reste à définir. Il faudrait éviter le chevauchement avec les institutions existantes et tirer le meilleur parti possible des recherches et travaux effectués par d’autres organismes.
Ce forum forgerait des partenariats avec des universités et des instituts de recherche, de façon à avoir accès régulièrement à des sources de savoir et de compétence. Ces partenariats devraient viser à refléter l’équilibre géographique et la diversité culturelle et à promouvoir la coopération entre toutes les régions.
Politique publique et contrôle au niveau mondial
Toute forme d’organisation, pour la fonction de gouvernance ou pour la fonction de contrôle, doit respecter plusieurs principes. L’un d’eux est qu’aucun gouvernement ne devrait jouer à lui seul un rôle prépondérant dans la gouvernance sur le plan international. Un autre de ces principes veut que la forme d’organisation associée à la fonction de gouvernance soit multilatérale, transparente et démocratique, avec la pleine participation des Etats, du secteur privé, de la société civile et des organisations internationales. Enfin, cette forme d’organisation doit faire appel à toutes les parties prenantes et aux organisations intergouvernementales ou internationales concernées dans le cadre de leurs rôles respectifs.
Compte tenu du caractère de plus en plus international de l’Internet et du principe de l’universalité, la conclusion du GTGI est qu’il existe une grande diversité de fonctions de gouvernance, lesquelles peuvent recouvrir, entre autres, l’audit, l’arbitrage, la coordination, l’orientation et la réglementation. Il est souligné dans ce rapport que l’Etat ne doit pas intervenir dans la gestion opérationnelle au jour le jour de l’Internet lorsque celle-ci n’a pas d’incidence sur des questions de politique publique. Après avoir envisagé différents modèles organisationnels, le GTGI propose quatre options, en fonction de l’ampleur de la participation des différents partenaires. Dans tous les cas, ce sont les détails qui font toute la difficulté.
Coordination institutionnelle
Le GTGI recommande aux secrétariats des organisations intergouvernementales et d’autres institutions qui s’occupent de questions de la gouvernance de l’Internet de continuer à améliorer la coordination de leurs activités et à échanger des informations à intervalles réguliers, aussi bien entre elles qu’avec les membres du forum (si la création de ce dernier est approuvée et prend effet).
Coordination régionale, sous-régionale et nationale
Le GTGI note que la coordination internationale doit s’appuyer sur celle des politiques au niveau national. La gouvernance de l’Internet au niveau mondial ne peut être effective que si elle cadre avec les politiques menées aux niveaux régional, sous-régional et national.
Le GTGI recommande donc de mettre en ?uvre dans toute la mesure du possible et dans toutes les régions une approche consistant à faire appel à de multiples parties prenantes pour que les travaux sur la gouvernance de l’Internet soient pleinement appuyés aux niveaux régional et sous-régional. Il convient en outre d’établir une coordination entre toutes les parties prenantes au niveau national. Par exemple, les pays pourraient créer un comité permanent national de gouvernance de l’Internet auquel participeraient de multiples parties prenantes ou organes analogues.
Par Yacine Bouras
Sources : Rapport du Groupe de travail sur la gouvernance de l’Internet (GTGI).

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