Une nouvelle tendance qui obéit à des calculs à la fois politiques et économiques. Si les Saoudiens ont choisi volontairement d’investir dans l’hôtellerie et la télévision, les autres puissances pétrolières comme le Koweït et les Emirats arabes unis, et à quelques exceptions près l’Egypte, ont choisi d’investir dans les télécoms en décrochant tous les marchés potentiels dans les pays arabes, africains et asiatiques mais plus précisément dans les pays émergents. Depuis quelques années, les maîtres du pétrodollar visent les marchés potentiels de l’Irak et du Maghreb, considérés comme zones risquées par les Européens et les Américains.
Une erreur d’appréciation qui a fait les «dollars» de l’égyptien Orascom, devenu, en l’espace de quatre ans, le leader incontesté de la téléphonie mobile en Afrique du Nord et de l’Ouest ainsi que dans quelques pays arabes, allant jusqu’à s’attaquer au marché asiatique, au Pakistan, et même européen en rachetant l’opérateur fixe et mobile italien Wind. «Nous allons voir comment réagissent les Européens, eux qui nous parlent de privatisation», avait affirmé M. Naguib Sawiris lors d’une conférence de presse en 2005.
{{L’Afrique du Nord en ligne de mire}}
Marchant sur les traces du pharaon égyptien, Faïçal Hamad Al Ayyar, Managing Director and Chief Executive Officer et tête pensante de Kipco, jusque-là spécialisé dans les services financiers et médias, décide de s’attaquer aux télécoms. D’abord au Koweït en 1999 et en 2003 dans le monde. Il décroche simultanément des marchés en Tunisie, en Algérie, allant même en Irak et en Arabie saoudite et plus récemment aux îles Maldives. Une aventure qui a eu des conséquences positives sur l’investissement puisque Wataniya multiplie ses bénéfices de plusieurs millions de dollars chaque année.
La langue, la religion et surtout la manne financière ont facilité la tâche aux émirs du Golfe, qui, depuis le fameux 11 septembre, préfèrent laisser fructifier leur argent dans des investissements à forte plus-value hors des Etats-Unis.
Ainsi, France Télécom et Vivendi Universal, les malheureux perdants de l’opération de l’ouverture du capital de Tunisie Telecom, retiendront longtemps le nom de Tecom-Dig. Deuxième au bout du premier tour, derrière son malheureux rival du second, l’opérateur télécoms émirati aura attendu le dernier moment pour faire parler sa puissance de feu financière et remporter une victoire symptomatique de la montée en puissance d’un pays, les Emirats arabes unis, et en particulier celle du bras financier à l’intérieur et à l’extérieur du pays : Dubai Holding.
Ce holding a été créé en octobre 2004, d’abord pour consolider les multiples grands projets d’investissement et d’infrastructures durant les cinq années précédentes et, ensuite, afin d’identifier et d’en réaliser de nouveaux tant aux Emirats arabes unis que dans la région.
Présidé par le prince héritier de Dubaï et ministre de la Défense des EAU., cheikh Mohammed ben Rashid Al Maktoum, Dubai Holding regroupe une vingtaine d’entreprises dans divers secteurs (technologie, finance, immobilier, tourisme, énergie, santé, éducation, télécommunications, biotechnologie, etc.). Tecom est une sorte de groupe dans le groupe puisque constitué de trois branches lancées successivement en 2000 (Dubai Internet City), en 2001 (Dubai Media City) et 2003 (Dubai Knowledge Village).
Par la suite, Tecom a créé l’«IMPZ» (International Media Production Zone), la première zone franche de la région dédiée à la production de médias, «DOZ» (Dubaï Outsource Zone), la première zone franche du monde spécialisée dans l’outsourcing, «DuBiotech» (Dubai Biotechnology and Research Park) spécialisée dans les biotechnologies et, enfin, Dubai Studio City, une autre zone franche accueillant les activités de cinéma, de diffusion et de production musicale. En somme, Tecom, c’est une version arabe de Vivendi Universal.
L’acquisition de 35% du capital de Tunisie Telecom n’est pas le premier «coup» de Tecom à l’étranger. La filiale de Dubai Holding en a déjà réussi plusieurs. En novembre 2005, Tecom a conclu un partenariat stratégique avec Interoute, propriétaire et opérateur du réseau voix et données le plus dense d’Europe, concrétisé par une participation dans son capital pour 125 millions d’euros.
{{L’eldorado offshore}}
En décembre 2005, Tecom, dont l’objectif est de diversifier son activité en investissant dans les secteurs technologiques à forte croissance, a acheté 40% du capital d’Axiom Telecom, le plus grand distributeur -avec 363 points de vente- de produits sans fil au Moyen-Orient.
En juillet de la même année, la filiale de Dubai Holding a conclu avec Capital Partners un accord pour la réalisation d’une cité résidentielle à Dubaï sur 1,6 million de mètres carrés interdite… à la circulation automobile. Un investissement de 1 milliard de dollars.
Tecom n’est cependant pas la seule filiale de Dubai Holding à investir à l’étranger. En janvier 2005, le groupe est en effet devenu le troisième actionnaire de DaimlerChrysler, qui est un coup de c?ur, juste derrière Tussauds -connu pour son musée de cire-, et le parc d’attractions d’Alton Towers au Royaume-Uni, et d’autres activités aux Etats-Unis, aux Pays-Bas et à Hong Kong pour 1,5 milliard de dollars.
En Tunisie, Dubai Holding est déjà actionnaire de Somocer (groupe Abdennadher) à hauteur de 12% du capital. Mais lors d’une visite en 2005, M. Mohammed Al Gergawi, patron de Dubai Holding, avait annoncé que son groupe envisageait d’investir près de 300 millions de dollars dans différents secteurs. Comme pour le cas de Hergla, on promet au Maroc une Côte d’Azur à Rabat. Ainsi, on apprend que le roi du Maroc a signé pas moins de huit conventions d’investissement avec Dubai Holding et Emaar portant sur la réalisation de projets d’aménagement et de valorisation touristique et résidentielle, pour un montant global de près de neuf milliards de dollars qui peuvent aller à douze. Ces huit accords prévoient ces investissements sur dix ans, dans quatre des principaux pôles de développement économique du Maroc, à savoir Rabat (5,1 milliards de dollars), Marrakech (2,4 milliards de dollars), Casablanca (1 milliard de dollars) et Tanger (0,65 milliard de dollars).
{{Une ambition internationalisée}}
«En dix ou quinze ans, nous avons placé Dubaï sur la carte mondiale», se félicite Mohamed Al Gergawi, commentant le retentissement soudain du déploiement à l’international du conglomérat. Il aurait même pu dire qu’ils l’ont sorti du néant, car, de tous les émirats, sultanats et royaumes du Golfe, seul Dubaï ne dispose pas de réserves importantes de pétrole, qui ne représente que 6% de son PIB. Juste récompense, mais peut-être aussi parce qu’il est épargné par la «malédiction de l’or noir». Dubaï est devenu une référence particulièrement respectée dans le Monde arabe, où les hommes d’affaires ne jurent plus que par elle.
L’autre émirati qui a décroché la deuxième licence mobile en Arabie saoudite pour plus de 4 milliards de dollars n’est pas en reste. Nous l’avons rencontré à Tunis lors du SMSI en novembre 2005 et il aurait émis le v?u de participer au capital d’Algérie Télécom. Son responsable, M. Omran, a déclaré à IT Mag qu’il mettrait les moyens financiers qu’il faut pour décrocher le marché algérien. D’un autre côté, M. Ouarets, PGG d’Algérie Télécom, que nous avons vu lors de la Journée mondiale sur les télécoms, nous a confirmé qu’Itisalat est déjà sur la short-liste. Cela va donner des sueurs froides aux financiers du «vieux» et ambitieux France Télécom. Si nous faisons une rétrospective, on remarquera l’émergence d’une nouvelle race d’opérateurs dont toutes leurs activités relèvent de la nouvelle économie.